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La femme immortelle

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La femme immortelle

Qui connaît Henrietta Lacks ? Personne, ou à peu près. Et pourtant, nous lui devons tous quelque chose — et pour certains, la vie, ce qui n’est pas rien…
L’Histoire de cette femme, relatée par Rebecca Skloot, est d’abord parue chez Radom House, sous le titre «The immortal life of Henrietta Lacks ». Puis, en janvier dernier, en langue française, chez Calmann-Lévy.

Résumer le destin d’Henrietta Lacks, c’est se condamner à ressasser les mots « femme », « noire », « cobaye », « médecine » sans pour autant communiquer l’essentiel. Car c’est post mortem qu’elle a acquis.

Résumons  cette exceptionnelle histoire: en février 1951, Henrietta Lacks, une pauvre femme noire de 31 ans, qui a longtemps travaillé dans les champs de coton, comme ses ancêtres esclaves, est admise à l’hôpital Johns Hopkins de Baltimore. Créé à la fin du XIXème siècle à la suite d’un legs philanthropique, Johns Hopkins (devenu l’un des plus prestigieux centre de recherche médicale) a obligation, pour respecter la volonté du testateur, d’accueillir des patients indigents, sans distinction de race, qui n’ont pas les moyens de payer leurs soins — id est : des noirs, pour l’essentiel. Henrietta se plaint de douleurs au ventre. On lui diagnostique un cancer de l’utérus. Les médecins, sans lui demander son avis (ce qui, à l’époque, n’est pas illégal), lui prélèvent quelques cellules saines, ainsi que quelques cellules de sa tumeur.
En ce début des années 1950, les laboratoires du monde entier tentent de décrocher le Graal : la culture de cellules humaines, pour développer les expériences in vitro. Mais tout rate, partout : quand par miracle les cellules survivent en éprouvette, elles ne se reproduisent pas. On a pourtant tout essayé pour les nourrir : du sang de fœtus de bovin, du sang de poulet, du sang de cordon ombilical humain… Rien n’y fait.

C’est donc sans grand espoir que les médecins tentent de cultiver les cellules d’Henrietta Lacks. Ses cellules saines meurent d’ailleurs rapidement. Mais ses cellules malignes survivent. Et, miracle, elles se reproduisent à une vitesse vertigineuse. Le cancer d’Henrietta est lui-même foudroyant. Elle meurt le 4 octobre 1951, dans d’atroces souffrances. Mais, entre-temps, ses cellules ont déjà commencé de conquérir le monde, sous le nom de code HeLa (les deux premières lettres de ses nom et prénom).
Les cellules HeLa iront partout : elles traverseront la Cordillère des Andes à dos de mulet, elles prendront l’avion, le bateau, la voiture… la NASA les enverra dans l’espace… Il est impossible, aujourd’hui, d’estimer leur nombre. Une chose est sûre : il faudrait compter en milliards de milliards. Et elles continuent de se reproduire dans tous les laboratoires, où elles sont employées aussi bien par la médecine que par l’industrie cosmétique. Les cellules HeLa ont servi à percer les mystères du génome humain, elles ont servi à mettre au point le vaccin contre la polio, et j’en passe, et j’en passe. Bref, elles sont devenues, selon le mot de Rebecca Skloot, « la bête de somme de la biologie ».
 Dès les années 1960, des journalistes scientifiques avertis des miracles opérés grâce aux cellules HeLa souhaitaient informer le grand public de cette aventure peu banale. Ils désiraient donc « connaître les éléments fondamentaux liés au côté humain de l’affaire ». En clair : savoir la personne qui se cachait derrière l’appellation HeLa — on savait juste que c’était une femme de race noire. Le laboratoire qui avait prélevé les cellules refusa, de crainte « de s’attirer des ennuis en le révélant » (sic).

En 1973, un chercheur publiait une petite annonce dans la prestigieuse revue Nature : « Cette femme a véritablement atteint l’immortalité, à la fois dans les tubes à essai et dans le cœur des scientifiques du monde entier. Pourtant, nous ne connaissons pas son nom ! Quelqu’un a-t-il la réponse ? » Pour contrer la curiosité grandissante, le laboratoire lança des fausses pistes, évoquant une Helen Lane ou encore une Helen Larson, qui bien sûr n’avaient jamais existé.
 
Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que le nom d’Henrietta Lacks fut — timidement — dévoilé. Pour Rebecca Skloot, jeune journaliste scientifique, ce fut une révélation. Le grand œuvre de sa vie : elle allait restituer la biographie d’Henrietta, soldate inconnue morte au champ d’honneur de la science. L’entreprise lui a pris dix ans. Le résultat est admirable par quelque bout qu’on le prenne : c’est un formidable travail d’enquête journalistique, c’est un formidable témoignage humain. Le point d’orgue de l’émotion est sans doute atteint quand, grâce à l’entremise de Rebecca, Debborah, la fille d’Henrietta, est admise dans un laboratoire pour observer les cellules de sa mère au microscope, et que celles-ci se reproduisent sous leurs yeux.

Depuis soixante ans, les cellules d’Henrietta Lacks ont donné lieu à un commerce lucratif, et enrichi nombre de personnes à travers le monde (car bien sûr, les cellules HeLa ne se donnent pas : elles se vendent…). Mais la famille d’Henrietta, elle, est toujours aussi pauvre, et n’a toujours pas les moyens de se payer le médecin…
Ce livre apporte tant de révélations (on est abasourdi, par exemple, d’apprendre que dans les années 1950, les cellules HeLa ont été inoculées à des humains non avertis — de préférence des femmes pauvres ou des détenus…) qu’il pose de multiples questions. Il devrait aussi faire réfléchir tous les eugénistes, car c’est quand même une négresse misérable et souffreteuse, rongée par les maladies vénériennes, qui aura contribué à l’élévation de l’espérance de vie de toute l’humanité…  
 
...Aussi, quelle que soit sa morphologie et la pigmentation plus ou moins prononcée de son épiderme, tout être humain devrait désormais considérer qu'il appartient à la famille d'Henriette Lacks




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