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Gabriel Galice

Débats
Gabriel Galice

Economiste et politologue, docteur de l’université de Grenoble, auteur ou directeur de plusieurs ouvrage et articles sur la nation, l’Europe, la guerre, la paix et Jean-Jacques Rousseau, Gabriel Galice est vice-président de l’Institut International de Recherches sur la Paix à Genève (GIPRI).
Il est le promoteur du colloque « Rousseau, la République, la paix » sélectionné par un jury international constitué par la Ville de Genève dans le cadre des manifestations du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, 2012 Rousseau pour tous.

Biographie résumée de Gabriel Galice

Né en 1951 à Lyon.
Etudes secondaires au lycée Berthollet d’Annecy, études supérieures à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble et à l’institut d’urbanisme de Grenoble (1970-1975).
Assistant d’économie à la faculté de Constantine (Algérie) de 1976 à 1978.
Chargé de mission économique, puis secrétaire général adjoint du syndicat intercommunal de l’agglomération d’Annemasse de 1979 à 1990.
Conseiller Régional de Rhône-Alpes de 1986 à 1992.
Chargé de missions en Europe centrale et orientale pour le Centre National de la Fonction Publique Territoriale française de 1990 à 2002.
Chercheur, puis directeur du GIPRI de 2002 à 2008.
Depuis en préretraite active…
Trois livres majeurs :
  • Santé et profit : l’industrie pharmaceutique : 1974
  • Du Peuple.Nation – essai sur le milieu national de peuples d’Europe, 2002.

  • Penser la République, la guerre et la paix sur les traces de Jean-Jacques Rousseau (avec Christophe Miqueu), en 2012. Prix de l’Académie des sciences de Dijon.

Participation à et direction de plusieurs ouvrages collectifs, notamment des Cahiers du GIPRI.

Ecrits


Trois cents ans après sa naissance, Jean-Jacques Rousseau fait partie de ces philosophes qui font puissamment réagir et réfléchir. Penseur atypique, le « Citoyen de Genève » occupe une place à part dans le paysage intellectuel mondial. Sa notoriété fluctue aucours des périodes de l’histoire. Elle est un baromètre de nos espoirs ou désespoirs. Ce livre visite un aspect particulier de son oeuvre : sa relation aux thèmes de la République, de la guerre et de la paix. Il s’avère que le républicain pacifiste Rousseau est bel et bien, en ces domaines aussi, un « anticipateur-retardataire ».
En 1750, l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon avait révélé Jean-Jacques Rousseau à ses contemporains en lui accordant un prix pour son Discours sur les sciences et les arts. Perpétuant cette tradition à l’occasion du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, l’Académie vient de primer l’ouvrage Penser la République, la guerre et la paix – sur les traces de Jean-Jacques Rousseau, écrit par Gabriel Galice et Christophe Miqueu et publié aux éditions Slatkine.
Gabriel Galice avait par ailleurs organisé en avril 2012, à Genève, le colloque Rousseau, la République et la paix, avec le soutien de l’Ambassade de France en Suisse.

Remise du Prix Jean-Jacques Rousseau
Interview à la Radio Suisse romande le 1 janvier 2013
Le désordre dans le monde vu depuis la Suisse
Réflexion sur les échanges entre peuples

Les stéréotypes, les montages symboliques et les échanges entre peuples


Le terrorisme n’existe pas, en tout cas pas pour ce qu’il est communément dit, pas comme essence ou hypostase, pas comme entité unique. Hypostasier, c’est « considérer comme une substance (ce qui n’est qu’un accident ou une idée) ; prendre une idée pour un fait, une réalité » (Dictionnaire Le Robert)

1.- Le stéréotype en guerre et les « marchés de violence »
Le terrorisme est d’abord une figure rhétorique envahissante, proliférante, issue d’une autre figure rhétorique et stratégique, « la lutte contre le terrorisme », en étasunien « Global War on Terrorism ». ou « Global War on Terror » Dans ce jeu de miroir, dans cette enfilade de miroirs en abîme deux figures, deux chefs de guerres, un croisé et un djihadiste, se justifient réciproquement, s’identifient par leur opposition, posant et se posant en s’opposant. Preuve en est que l’opération militaire « Iraqi Freedom » fut lancée selon la doctrine « Shock and Awe », nouvelle version du Blitzkrieg, de la guerre éclair, traduisible par « Choc et effroi », le terme effroi portant une connotation religieuse de crainte inspirée par Dieu, effroi mêlé de respect. Du ciel tombent le regard de Dieu, la foudre de Jupiter, les bombes et les tours aussi. Ladite doctrine militaire vise à dissuader l’ennemi de poursuivre le combat, à rendre les armes. Shock and Awe, c’est le Blitzkrieg à l’heure de la télévision et d’Internet. Il faut aveugler l’adversaire, détourner l’attention, distraire le spectateur-citoyen. Des dirigeants parlent légèrement de « terroriser les terroristes », s’adressant à l’évidence davantage à leurs électeurs qu’aux terroristes tant il est vrai que le terroriste ne se laisse pas terroriser.

Les terroristes, qu’ils soient terroristes étatiques ou non-étatiques (
Michel Wieworka parle de « terrorisme par le haut » et de « terrorisme par la bas » in Face au terrorisme, Liana Levi, 1995), manient le double registre de la force et de la forme, de la violence extrême et du message mobilisateur de leur camp, démobilisateur du camp adverse. La guerre d’opinion redouble la force des armes, le sacrifice des corps équivalant grossièrement à la destruction des matériels. Vous aurez remarqué que je suis subrepticement passé du terrorisme aux terroristes, des idées aux corps, aux actes, aux faits, non sans prendre en compte les images, les mots, les mots d’ordre, les slogans. La guerre, c’est aussi du marketing. Il faut la vendre aux citoyens pour qu’ils approuvent les lois liberticides, les budgets militaires ou s’enrôlent dans l’armée, aux fidèles pour qu’ils soutiennent la cause de leur argent et de leur sang. Le stéréotype sert précisément à cela, à formater l’opinion, à endormir la pensée singulière, vivante, dynamique, à encapsuler la réflexion critique. Les conflits modernes ne s’appellent plus guerrres. Ils sont interventions (parfois même humanitaires), déploiements de troupes, frappes (chirurgicales ou non). L’euphémisation de la violence et de la mort relève de la stratégie de vente. « Les « marchés de violence » contemporains se distinguent de leurs précédents (pré)modernes par la dimension de la propagande portée par les médias anciens et modernes tels que la radio, la télévision, Internet, etc…qui permettent avec une rapidité étonnante la manipulation idéologique des masses.»(Kalulambi Pongo (Martin) et Landry (Tristan), Terrorisme international et marchés de violence, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p.30) Les marchés de violence concernent l’accumulation du capital politique, économique, social et culturel, leurs dividendes sont matériels et symboliques, leur analyse relève autant de l’anthropologie, de la science politique ou de la sociologie que de l’économie. Le caractère explosif, largement incontrôlable des marchés de violence tient à l’interconnexion des formes de pouvoir économique, politique, culturel, médiatique (Cf. cahier n° 6 du GIPRI (en cours de parution chez L’harmattan), La guerre est-elle une bonne affaire ?). Ce processus d’interconnexion décrit le passage du capitalisme de marché au capitalisme de connivence (Crony Capitalism)

Les terrorismes sont trop divers pour justifier une appellation unique, sauf à des fins d’instrumentalisation politique. Martin Kalulambi Pongo et Thierry Landry distinguent « terroristes, guérilleros et rebelles » « la guérilla est une stratégie militaire qui se rapproche des principes de la guerre courante. Or la guerre obéit à une série de lois (…) Dans bien des cas, le terroriste ignore les lois comme celles que codifient les conventions de Genève (…) les guérilleros se distinguent des terroristes en ce qu’ils ont tendance à être des membres d’une organisation armée qui contrôle une zone territoriale. Figures presque virtuelles, les terroristes sont toujours clandestins et maintiennent leur caractère de petit groupe secret. »

Pour aller plus loin et plus profond dans la compréhension du fait social, passer de la conjoncture guerrière à la structure sociétale, il faut aborder le second point de mon propos, le montage symbolique.

Le montage symbolique et la reconnaissance
L’homme est un animal politique, c’est-à-dire qu’il n’est pas seulement grégaire. Il se construit par le détour de la société qu’il édifie, par les institutions (
«Le terme d’institution est à entendre ici dans un sens étendu : non seulement les institutions classiques  du droit, du gouvernement, de la religion, mais aussi celles, moins apparentes, qui se dessinent dans les techniques, les modes de vie, les rapports sociaux, les procès de parole et de pensée », Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Les éditions de minuit, 1969, T.1, p.9). L’être humain est du même pas un primate symbolisant. Biologiquement prématuré, il parachève son développement psychomoteur au sein de la famille et de la société. Il est passé par les stades de la bande, de la tribu, de la chefferie et de l’Etat (Jared Diamond).

Le symbolique est la fiction nécessaire qui nous lie, nous relie, nous attache, nous oblige. Il est le tiers en surplomb de la personne et de la société, le totem, celui au nom duquel on parle et celui qui parle en notre nom. Pierre Legendre a étudié en plusieurs livres les montages symboliques du droit.

« J'ai travaillé au Gabon avec une entreprise qui vendait du développement, avec les Nations unies au Congo ex-belge, puis au Mali avec l'Unesco. J'ai compris que ma formation de juriste préoccupé des textes du Moyen Age m'était bien plus utile que les sciences économiques.
Je voyais, en effet, dans les écoles coraniques des enfants réciter rituellement des versets dans la langue sacrée du Coran, qui n'était pas la leur, exactement comme les glossateurs médiévaux transmettaient en latin le droit romain disparu.
Je découvrais l'égalité de tous devant la vie de la représentation : l'Etat occidental n'est qu'une forme transitoire de cette vie. Il reproduit du sujet institué, en garantissant le principe universel de non-contradiction : un homme n'est pas une femme, une femme n'est pas un homme ; ainsi se construisent les catégories de la filiation.
La fonction anthropologique de l'Etat est de fonder la raison, donc de transmettre le principe de non-contradiction, donc de civiliser le fantasme. L'Etat, dans la rationalité occidentale, est l'équivalent du totem dans la société sans Etat. En Afrique, il y a aussi un au-delà de l'individu qui est peut être en train de se perdre chez nous .
(Propos recueillis par Antoine Spire, Le Monde. 23 octobre 2001,
http://www.denistouret.net/textes/Legendre.html»)

Le symbolique niche dans la langue partagée, la monnaie commune, la croyance collective. Il évite le face-à-face en ce qu’il peut avoir de séduisant, de déroutant, de mortifère. Il le contient par sa codification, il le civilise (
« C’est l’extériorité de l’instituant qui nous fait tenir debout », Régis Debray, Les communions humaines, Fayard, 2005, p.104). Dans l’analyse lacanienne, le symbolique fait lien entre l’imaginaire et le réel.

Plutôt que de parler de choc ou de dialogue des civilisations, ne conviendrait-il pas de parler de confrontation des cultures en chemin vers la Civilisation ? J’écris ce sens de Civilisation avec un C majuscule, pour le distinguer de l’ensemble des pratiques collectives d’un groupe humain, au sens de culture. La difficulté est ancienne et les croisements des langues allemande et française ne la simplifient pas. L’allemand traduit par Kultur un des sens de civilisation. Pendant la première guerre mondiale, Thomas Mann vantait la culture de l’âme allemande contre la civilisation prétendument cosmopolite des alliés (
Thomas Mann, Considérations d’un apolitique, Grasset) . En français, le mot civilisation est à la fois un terme ethnologique et un vocable appréciatif désignant l’écart avec l’état sauvage. Dans le deuxième cas, il est plutôt relatif à l’aspect individuel mais pas seulement.
« Qu’est-ce à dire, sinon que le même mot sert à désigner deux notions différentes ?
dans le premier cas, civilisation signifie simplement pour nous l’ensemble des caractères que présente au regard d’un observateur la vie collective d’un groupement humain (…) elle est avant tout d’ordre collectif.
Dans le second cas, et quand nous parlons des progrès, des grandeurs ou des faiblesses de la civilisation, nous avons bien dans l’esprit un jugement de valeur. (…) (14)   Turgot ne se sert pas même du verbe civiliser, du participe civilisé alors d’usage courant : il s’en tient toujours à police et à policé »
(
Lucien Fèbvre, CIVIILSATION, Evolution d’un mot et d’un groupe d’idées, (1929) , Paris, La renaissance du livre, 1930)

La réussite de Samuel Huntington est d’avoir placé nombre de ses adversaires sur son terrain : la notion de civilisation, rabattue sur celle de religion (
« La même vision pauvre du monde (diviser les peuples en blocs de civilisation) est partagée parc ceux qui prêchent l’amitié entre les civilisations et ceux qui les voient s’opposer. », Amartya Sen, « Identité et conflit – Existe-t-il un choc des civilisations ? », in Civilisations, globalisation, guerre – Discours d’économistes, Presses Universitaires de Grenoble, 2003). Une civilisation (ou une culture) est un ensemble incluant toutes les modalités (techniques, économiques, militaires, artistiques, religieuses…) du vivre ensemble d’un groupe humain.

Ainsi, les civilisés peuvent appartenir à des cultures différentes. Ils font leur le primat du dialogue et du droit (
« Dans le modèle tripartite du panthéon indo-européen selon Dumezil, il n’y a pas d’égalité entre les fonctions divines : la gestion (Quirinus) est subordonnée à la guerre (Mars), qui l’est au droit souverain (Jupiter) », Régis Debray, Les communions humaines, op. cit., p.83) sur la violence et la guerre (Marcelo Kohen,  "L'arme de la civilisation, c'est le droit". Bulletin du Centre d'Information des Nations Unies, Paris, 2001, N° 45, pp. 30-31) , à l’inverse des « sauvages », « barbares » et « terroristes » de tous pays. La civilisation est le processus d’universalisation, d’hominisation et d’humanisation de l’être humain au travers de ses cultures singulières. Encore convient-il de ne pas simplifier, par exemple en opposant la vie collective pré-moderne à l’individualisme moderne ou post-moderne. Pour ce faire, il faut cesser de prendre le mixte de mode et de modernité pour le progrès .(« L’idée de modernité s’oppose désormais à celle de progrès », Emmanuel Todd, L’illusion économique, Gallimard, 1998, p.13). Le progrès ne saurait sacrifier un groupe à un autre, une classe à une autre, une nation à une autre. La modernité s’en accommode parfaitement, qui autocélèbre les oligarchies situées à l’efficiente intersection des affaires, des médias et de la politique. Le couple modernité/progrès redouble le tandem croissance/développement. Il conviendrait de reprendre la notion de développement global, endogène, intégré prônée par François Perroux. Penser au-delà de l’opposition individuel/collectif, c’est préférer la notion de personne à celle d’individu car l’être humain n’est pas un atome. La personne tient par toutes ses fibres au corps social-politique, ou ne tient pas.

Les échanges entre peuples
Vous aurez compris que je préfère le dialogue entre cultures aux discussions entre civilisation ou entre religions. Mais je vous propose d’aller plus loin. Car le dialogue n’est qu’une modalité de l’échange. La circulation des paroles n’épuise pas la circulation monétaire ou les échanges de coups, de biens, de marchandises et de services.

A ce point, je souhaite lever un autre cliché sémantique fonctionnant comme un stéréotype, celui d’identité, pont aux ânes de discours savants et politiques. Paul Ricoeur nous enseigne à distinguer ces deux dimensions en français, la mêmeté (égal à) et l’ipséité (propre à). Je préfère le concept de propriété, qui porte une ambivalence plus féconde à mes yeux. La propriété est à la fois le caractère d’un corps (propriété physique, chimique…)  et l’appartenance, soit l’être et l’avoir... S’approprier le monde qui me reçoit doit s’entendre sur le double registre matériel et affectif-cognitif (selon Honneth, cognitif parce qu’affectif). Avec des variantes, Georg.Lukacs, Paul Ricœur et Axel Honneth) traitent du double registre de la réification et de la reconnaissance. La reconnaissance désigne notre présence active au monde, notre engagement volens nolens. La réification nous dissimule les rapports humains derrières les choses, produits et marchandises.

Un ancien président du GIPRI, Roy Preiswerk, a préconisé une éthique méthodologique de la recherche sur la paix qui explicite la position du chercheur « le chercheur commence par énoncer ses jugements de valeur et explique clairement en quoi la réalité est, ou n’est pas, conforme à ces valeurs
http://www.gipri.ch/spip/spip.php?article483 ».

Le commerce des hommes désignait jadis les relations sociales. Le commerce désigne aujourd’hui l’échange marchand sous les auspices du capitalisme financier techno-scientique. Faire parler ensemble des chrétiens et des musulmans est certainement utile mais je doute que cela suffise si les autres modalités d’échanges entre personnes, cultures et peuples ne sont pas reconsidérées. Pour le dire schématiquement, confier à l’OTAN la force armée, à l’OMC les relations commerciales et à l’UNESCO le dialogue culturel ne suffit pas à régler les échanges déréglés entre les peuples. Tout se passe comme si les institutions nationales et internationales n’embrayaient plus sur les peuples qui n’adhéraient plus à elles. Les tribus ne croient plus en leurs totems ou si peu. Les élites tendent à s’oligarchiser, à se couper des couches populaires. Les analyses d’Edward Saïd sur les intellectuels sont judicieuses. Le populisme est la réponse vengeresse des peuples délaissés par leurs oligarchies dédaigneuses, sous toutes les latitudes. On donne pudiquement le nom de mondialisation à cette solidarité des oligarchies dédaigneuses des peuples. L’hybris (démesure, orgueil) des groupes, classes et nations dominants les condamne à notre perte et à la leur.


Dr Gabriel Galice

Bibliographie

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