Mandat N° 2 - Presse
Commission Sociale / Mandat N° 2 / chantiers
Témoignages
Article paru dans le quotidien "LE TEMPS"
portrait jeudi 21 avril 2011
Pierre Pradervand, passeur de dignité
Par Sylvie Arsever
Pierre Pradervand est visiteur de prison, notamment à Champ-Dollon (GE). Il rencontre des détenus isolés pour parler à bâtons rompus
«Il ne sait pas combien de minutes il y a dans une heure, ni ce que sont les USA. Il ne comprend pas les mots pardon, exister, espoir… Mansour m’a touché comme rarement un autre être l’a fait.» C’est avec ces mots que Pierre Pradervand avait demandé à me rencontrer pour me parler de son activité de visiteur de prison.
En arrivant, il a aussitôt sorti quelques notes de sa serviette. A côté de Mansour, il y avait Bernard, Rexhep, Thierry et Kofi * (lire ci-dessous). Cinq rencontres faites derrière les barreaux qu’il voulait partager. Pour montrer à ceux qui divisent le monde en camps opposés qu’il y a de l’humanité partout, même du mauvais côté de la loi. Ou, plus simplement, pour faire ce qu’il fait chaque fois qu’il se rend à la prison de Champ-Dollon, à Genève, rencontrer un détenu qui ne lui est rien: chercher à mettre un peu plus d’échange et de contact dans un monde qui en manque parfois cruellement.
A l’entendre, rien n’est plus simple que cette étrange activité. Lui savait depuis sa première jeunesse qu’il souhaitait, une fois, «faire quelque chose» dans le monde pénitentiaire, une conviction née de la rencontre avec un aumônier de la prison marseillaise des Baumettes. Il a attendu l’approche de la retraite, après une vie largement remplie d’engagement pour les autres et de contact. «Les détenus qui désirent des visites s’inscrivent. Le plus souvent, ce sont des gens qui sont totalement isolés à Genève et que personne ne vient voir. Nous prenons rendez-vous et nous y allons.»
La conversation est, en somme, ce qu’elle serait avec un visiteur ordinaire – on parle de choses et d’autres et souvent de ce qui préoccupe un prisonnier: son parcours, son procès, ses craintes pour l’avenir. Pierre Pradervand parle aussi de sa vie à lui. Sans crainte que la comparaison avec celle d’un homme enfermé pour des années soit trop cruelle? Non: évoquer la vie à l’extérieur, c’est aussi satisfaire un besoin d’évasion. Sans jeu de mots.
Les écueils que j’imagine, assure Pierre Pradervand, sont pratiquement inexistants. Une seule fois dans son expérience de bientôt six ans, un détenu a essayé de le manipuler pour le faire intervenir en sa faveur dans son procès. Et il assure, un peu étonné qu’on pose la question, n’avoir jamais ressenti de méfiance ou d’envie de la part de ses visités.
Des bobards, parfois? «Bonne question. Un détenu m’a soutenu pendant toute notre relation qu’il était innocent des faits dont on l’accusait avant de m’avouer, à la veille de son procès, qu’il les avait commis. Il avait peur de perdre mon estime. A tort, bien sûr. Je ne m’intéresse pas à ce qu’on reproche à un prisonnier. Je présume qu’il est coupable et je passe outre.»
Le plus dur, finalement, ce sont les rencontres où son vis-à-vis se tait. Cela arrive: «Il faut meubler une heure tout seul et ce n’est pas facile.» La responsabilité? Elle n’a rien d’écrasant – elle se limite finalement aux rencontres faites pendant le temps que le détenu visité passe dans la prison préventive de Champ-Dollon – même s’il lui est arrivé d’en suivre certains un peu plus loin, à Bellechasse, voire en liberté. Et cette limitation fait aussi le prix de la visite pour le détenu: «Nous représentons le seul contact avec quelqu’un qui n’a absolument rien à voir avec l’administration. Une relation entièrement gratuite, dans tous les sens du terme.»
Comment quelqu’un qui côtoie de près la souffrance des détenus considère-t-il la prison? Avec réalisme: «Nous n’avons pas encore inventé la société qui pourrait s’en passer. Mais c’est très dur. On est totalement dépendant des autres, sans aucune autonomie – sauf à trouver une forme de liberté en soi, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il y a une grave perte de sens. Et le poids de l’avenir: on sait qu’à la sortie tout sera difficile…»
* Prénoms fictifs.
Source: LE TEMPS 21 avril 2011
Une visite bénévole au pénitencier d'Orbe
La visite à un détenu est une visite inhabituelle, qui se déroule dans un cadre inhabituel et selon des règles qui ne s'appliquent pas à une visite de malades ou de personnes âgées.
Cela commence avec la tenue. Il est préférable de choisir des vêtements qui ne vont pas faire sonner l'appareil détecteur de métaux. Celui-ci est tellement sensible, qu'il faut systématiquement se déchausser, à moins de porter des sandales de liège.
Puis on quitte le contrôle de sécurité par un sas, on traverse la cour qui mène au bâtiment principal auquel on accède par un autre sas, pour enfin être accueilli par un gardien qui nous introduit dans le parloir des visites. Divisible en trois au moyen de rideaux en bois coulissants, il est bordé d'un côté par des fenêtres qui donnent sur la cour prolongée par le coin promenade et le terrain de football des détenus et, de l'autre côté, par une paroi totalement vitrée et percée de trois portes. Cette salle ressemble à un aquarium, mais permet aux gardiens d'exercer une surveillance discrète sur le déroulement de la visite. Deux distributeurs de boissons et un petit meuble avec quelques jouets d'enfants en complètent son aménagement.
La Charte du visiteur stipule que l'on vient et que l'on repart les mains vides. Il n'a donc pas à se demander s'il fallait apporter des chocolats ou des oranges, mais est néanmoins autorisé à avoir quelques pièces de monnaie (ouvertement déclarées au contrôle de sécurité) pour offrir une boisson au détenu. Dans le cadre de cette visite tellement dépouillée de tout support extérieur, une boisson à 50 centimes prend une importance toute spéciale, au point qu'un détenu tenait même à l'offrir de sa poche une fois sur deux.
Ayant le privilège de pouvoir venir en dehors des heures de visite réservées à la famille et aux amis, le visiteur est souvent seul avec le détenu et la visite se déroule plutôt dans le calme.
Voilà pour le cadre extérieur. Qu'en est-il du contenu ?
La règle précise que c'est au détenu à faire la demande d'une visite bénévole. Les demandes suivent un parcours précis pour aboutir à la Fondation vaudoise de probation où elles sont ensuite distribuées aux visiteurs selon les disponibilités de chacun.
Le visiteur est donc "l'invité". A ce titre, il ne remplace ni l'avocat, ni l'assistant social, ni sa famille et encore moins un juge qui referait son procès. Il lui apporte simplement "un bol d'air frais" de l'extérieur, une écoute active et un regard sans jugement sur sa situation familiale et carcérale. Il garanti en revanche la confidentialité des propos. Ces règles sont généralement bien acceptées par le détenu.
Suit toute la phase de la découverte de la personnalité : certains détenus parlent avec volubilité et le contact s'installe facilement. D'autres sont plus timides et il faut s'armer de patience, créer la confiance et surtout ne pas avoir peur des silences qui se prolongent … D'autres encore, ne sachant trop ce qu'ils attendaient de la visite, se rendent compte que "seulement" parler ne leur convient pas et souhaitent renoncer assez vite. Le visiteur apprendra alors à ne pas se culpabiliser. Il ne s'agit pas d'un échec, mais du droit qu'a le détenu de faire cesser la visite si elle ne lui convient pas. Droit qui appartient également au visiteur s'il ne se sent pas à l'aise avec le détenu.
A raison d'une visite d'une heure toutes les trois à quatre semaines, les liens se tissent lentement. Se révèlent alors les facettes du caractère, les passions, les rêves, les projets pour "après", tout comme le quotidien de la prison avec ses contraintes, la cohabitation parfois pénible, les nouvelles règles que l'on trouve injustes, mais aussi l'opportunité d'un apprentissage qui peut donner une autre couleur à l'avenir ou la fin de la peine que l'on voit arriver avec soulagement.
La visite devient alors un espace de liberté où le rire résonne parfois, mais qui traduit le besoin de se raccrocher à la normalité dans cette parenthèse de vie où l'on n'a plus de droits.
Lorsqu'il quitte la prison, le visiteur n'a fait qu'offrir une heure de son temps. Cela peut sembler dérisoire et peu profitable. Mais, dans l'absolu, il a rappelé à une personne qu'elle n'était pas oubliée, il est témoin de son existence et cela, au fond, n'a pas de prix …
Visiteur bénévole de prisons : pourquoi ?
Dans une lettre de prisonnier condamné à une lourde peine, nous lisons ceci :
"C'est la mort à petit feu, qui commence par la perte de toutes notions, affectives, familiales, sociales, si on ne parvient pas à entretenir un lien avec l'extérieur."
Comme visiteur de prison, je viens de l'extérieur. Je n'appartiens ni à l'appareil judiciaire, ni à un établissement d'exécution de peines. Vais-je, par mes visites répétées et régulières, représenter ce lien indispensable avec l'extérieur ? C'est un de mes objectifs. Et j'espère que les relations tissées avec les détenus visités contribueront, modestement, à entretenir et peut-être améliorer leur capacité d'individus à vivre en société.
Récemment, des étudiantes de l'Ecole d'études sociales et pédagogiques de Lausanne m'ont posé quelques questions dans le cadre d'une étude sur le bénévolat. Elles avaient choisi de centrer leur réflexion sur le bénévolat des visiteurs de prison :
Q.
Qui visitez-vous actuellement ?
R.
Deux détenus : un citoyen suisse purgeant une peine pour tentative de meurtre avortée et un Sud-Américain condamné pour viol.
Q.
Quel regard portez-vous sur eux ? Lorsque vous les rencontrez, faites-vous abstraction de leur délit ou tenez-vous compte du fait que vous avez devant vous des criminels ?
R.
Votre question est très pertinente. Par respect pour eux et pour moi-même, je me refuse à une approche idéaliste et romantique. C'est parce que ces détenus vivent une situation humaine perturbée que j'ai décidé de les rencontrer. Je sais donc qu'ils ne sont pas des enfants de chœur. Ceci étant, je ne lie par leur identité d'êtres humains à leur seul statut de détenus. Comme tout un chacun, ils ont besoin d'être reconnus pour ce qu'ils sont ou voudraient être dans l'intime de leur personne. Je fais donc le choix délibéré de discerner leur dignité et je souhaite qu'à travers de nos rencontres, ils s'en rendent compte. Ce serait un jalon posé pour leur avenir. J'espère aussi que, petit à petit, ils se mettront à porter un regard lucide sur ce qui les a amenés en prison. A noter que je ne sais de leur passé que ce qu'ils veulent bien me dire. Quant à l'avenir, je constate que le détenu sud-américain que je visite depuis deux ans se met à me parler du sens qu'il voudrait donner à sa vie lorsqu'il sera sorti de prison. Ne serait-ce que pour cela, mes visites me semblent valables.
L'essentiel réside tout entier dans l'écoute : être une oreille attentive. Pour l'aider à tenir le coup, je tiens compte aussi de son appartenance. Son statut de prisonnier, les murs du pénitencier et de sa cellule, la coupure d'avec son univers, en particulier familial, sont autant de facteurs de solitude et de dépersonnalisation. Nous parlons alors souvent de sa famille. Je connais les noms de ses nombreux frères et sœurs. Je lui demande des nouvelles de sa maman diabétique. De son côté, il est fier de me montrer les récépissés des versements qu'il lui fait pour des achats d'insuline. Il est bon qu'il sache que je le vois relié au siens, là-bas.
Comment se préparer à ce type de bénévolat ? Comment entretenir la "flamme" ? Grâce à l'équipe de visiteuses et visiteurs dont la Fondation vaudoise de probation est responsable. Des rencontres régulières permettent une écoute mutuelle sur les engagements de chacun et les problèmes rencontrés. Ce sont en quelque sorte des occasions de formation continue. Au cours des deux dernières années. nous avons eu la possibilité de passer une journée au pénitencier des EPO, puis une autre à la prison de La Tuilière à Lonay. Ce fut très profitable. Nous nous sentons mieux acceptés du personnel de ces établissements et, de notre côté, nous comprenons mieux leur tâche. C'est important pour que nos visites se déroulent dans de bonnes conditions.
Source: Fondation de probation canton de Vaud - http://www.probation-vd.ch/?id=538