Newsletter D&DS N° 2 - DIALOGUE & DEMOCRATIE SUISSE

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POURQUOI NOUS SOMMES APOLITIQUES

L'envahissement de l'espace du politique par les préoccupations électorales et partisanes, au point que ces mots sont dans la pratique courante souvent considérés synonymes, a amené à utiliser le terme d'apolitisme pour exprimer une vision politique qui se tient éloignée et dépasse le débat partisan ou la lutte électorale.

Nous sommes apolitiques, mais nous ne refusons pas de nous engager dans le débat public. Nous y prenons part d’une autre façon, en partant d’une vision de l’histoire qui transcende les idéologies.

La liberté, une exigence universelle

Les XIX et XXe siècles ont été dominés par des conflits idéologiques. Si les démocraties libérales ont fini par s’imposer ce n’est pas parce qu’elles avaient une meilleure vision du monde que leurs adversaires ou une meilleure appréhension du sens de l’histoire, mais parce que les idéologies de leurs adversaires menaçaient directement la dignité humaine.

Notre ambition est de dépasser les clivages idéologiques qui opposent traditionnellement la gauche et la droite, et de proposer une vision de la politique pouvant rassembler un vaste consensus. Nous n’avons pas la naïveté de croire qu’il est possible de mettre un terme aux méfiances et aux frustrations qui caractérisent les rapports entre riches et pauvres, entre faibles et puissants. Nous pensons cependant qu’une claire vision des enjeux globaux auxquels nous sommes tous confrontés, riches et pauvres, faibles et puissants, doublée d’une culture du respect, pourrait apporter une réponse aux défis de la société moderne là où toutes les idéologies du passé ont échoué.

La passion de la liberté a guidé les démocraties jusqu’à ce jour. Mais l’exacerbation des individualismes, la montée des égoïsmes, la rapacité des uns et le relativisme des autres, menacent l’idéal de liberté tout autant que les outrances islamistes ou que le nationalisme marxo-confucéen. Nombreux sont ceux qui désormais voient dans la liberté d’entreprendre et de commercer ou dans le développement des sciences et des techniques, plus de menaces que de promesses.

Nous devons rechercher un point fixe qui nous permettrait de guider nos pas au milieu de l’immense complexité de la société humaine d’aujourd’hui.

Les anciennes et les nouvelles certitudes

Toutes les civilisations qui ont précédé le monde moderne reposaient sur des techniques stables et clairement identifiées : les techniques de la pierre polie, celles du cuivre, celles du bronze puis celles du fer. Elles n’ont jamais reposé sur l’évolution constante des techniques c’est pourquoi elles ont pu se doter de systèmes de pensée figés dont elles pouvaient interdire la critique. Ces civilisations prenaient pour point fixe certaines productions de l’intelligence humaine qu’elles désignaient comme des absolus. Cette façon de faire avait une conséquence dramatique : l’apparition d’une technologie nouvelle entraînait la destruction de la civilisation elle-même. Les civilisations du bronze, comme celle de l’Egypte ou celle de Mycènes, ont toutes disparues lors de l’apparition d’une nouvelle technologie à base de fer.

En Europe, la vieille civilisation du fer a commencé de disparaître à son tour au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour être remplacée par une civilisation d’un type radicalement nouveau : la civilisation scientifique, qui repose sur l’évolution constante des techniques et des théories. Son point fixe ne peut plus être une production de l’intelligence, comme ce fut le cas jusqu’à présent. Nous ne devons plus prendre pour point fixe une technique, une théorie, une philosophie ou une religion, voire même une pulsion à laquelle nous nous identifierions, mais l’intelligence elle-même. C’est pourquoi notre avenir dépend de l’idéal de liberté et d’une recherche constante de la vérité.

A la recherche d’un point fixe

Dans un monde en mutation constante et sur lequel s’appliquent des techniques qui évoluent sans cesse, le seul point fixe qui nous soit désormais accessible ne peut plus être une idéologie sociale ou une théorie scientifique. Il est l’intelligence humaine en activité.

Prendre pour point fixe une production de l’intelligence une technique, une théorie, une philosophie ou une religion, et non pas l’intelligence elle-même, où considérer que notre volonté de puissance ou notre désir de richesse prime toutes autres considérations, ne peut mener qu’à des désastres sociaux.

Une carte et une boussole

Depuis le néolithique jusqu’au milieu du XIXe siècle l’essentiel des richesses provenaient de la terre. C’est pourquoi durant cette très longue période le pouvoir et la politique se sont organisés autour de la maîtrise de la terre et de ceux qui la cultivaient. Ils protégeaient des privilèges.

Les civilisations agraires imposaient aux hommes de s’adaptre à un milieu naturel, avec lequel il devait opérer une sorte de fusion. La politique ne se justifiait que par la nécessité d’organiser les moyens de la production agricole et de protéger l’activité de la communauté agraire contre les convoitises extérieures. Elle favorisa l’apparition d’une classe d’hommes armés qui s’est rapidement conduite en maîtresse de la société.

Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle l’essentiel des richesses provient des entreprises industrielles et commerciales. Dans la civilisation scientifique, l’origine de la richesse ne réside plus dans la nature objective, elle est une production de l’homme lui-même, elle réside dans la nature humaine. L’homme est à l’origine de la découverte scientifique, il est le créateur des techniques qu’il met à la disposition de ses propres desseins, ses rêves alimentent la quête d’horizons nouveaux, il crée dans ce but des entreprises industrielles ou commerciales, des laboratoires, des centres spatiaux. L’origine de la richesse n’est plus un privilège, elle ne résulte plus d’une appropriation unilatérale de biens objectifs, comme la terre, mais de l’imagination, de l’intelligence et du travail des hommes.

Dans cette nouvelle civilisation, la politique, comme on l’a pratiquée depuis 10 000 ans, n’a plus de sens. Elle devait organiser et défendre des privilèges, elle doit désormais favoriser la créativité des personnes, l’esprit de recherche et le goût d’entreprendre. Et, puisque l’accroissement de la richesse résulte tout entier de l’intelligence, de l’inventivité et de l’habileté des hommes, la volonté de puissance ne peut plus trouver satisfaction dans la guerre et la conquête : nul ne peut s’approprier les rêves des hommes. Une entreprise scientifique, industrielle ou commerciale, est vidée de sa substance dès qu’elle n’est plus incluse dans un dense système de partenariats scientifiques, techniques et financiers, et d’échanges commerciaux à l’échelle planétaire, animés par une exigence de réciprocité.

Il est un moyen simple de détruire cette nouvelle civilisation : il suffit d’étouffer les rêves des hommes dans un réseau inextricable de contraintes et d’interdits.

Le temps des dogmatismes est révolu.

Nous ne pouvons plus aujourd’hui imposer une théorie de l’histoire, de la société ou de l’homme comme un absolu auquel l’intelligence devrait se plier. Ce fut l’erreur des marxistes de le penser, c’est celle des islamistes et des marxo-confucéens.

La civilisation scientifique, cependant, a un besoin vital de théories et de philosophies, c’est par leurs existences qu’elle progresse, à condition que ces théories et ces philosophies soient critiquables et révisables. C’est dans l’opposition des points de vue que s’alimente son dynamisme.

Tous les conflits du XIX et XXe ont opposé l’idéal de liberté à d’autres idéaux qui niaient l’impératif de la liberté. Les protagonistes de ces conflits n’ont pas toujours discerné la différence essentielle qui existait entre l’idéal de liberté et tous les autres idéaux, comme l’idéal de sainteté de la civilisation chrétienne, l’idéal de perfection de la civilisation japonaise, l’idéal de fraternité de la civilisation islamique ou encore l’idéal de stabilité de la civilisation chinoise. L’idéal de liberté est d’une catégorie à part, en réalité elle est supérieure à toutes les autres. Il renvoie chaque individu à sa responsabilité d’être humain de sorte que ses choix idéologiques ne regardent que lui. Cette liberté de choix, pourvu qu’elle soit acceptée par tous ceux qui en bénéficient, a pour vocation d’englober toutes les idéologies. Elle permet la confrontation de tous les points de vue dans le respect des règles de l’éthique.

Voilà pourquoi nous sommes apolitiques. Mais voilà aussi pourquoi nous ne sommes pas neutres. Les plus grands risques auxquels nous sommes désormais confrontés résultent de l’activité humaine, des ambitions humaines, de la rapacité humaine. Voilà pourquoi nous nous engageons. Aux effets secondaires de l’activité humaine, l’intelligence humaine peut apporter des solutions, pourvu que le courage politique ne soit plus entravé par les seules ambitions électoralistes.

Nous pouvons avoir confiance en l’humanité, pourvu que l’idéale de liberté cesse d’être pris pour une soumission à nos plus bas instincts et à nos pulsions les moins avouables.[1]

Franck. C. Ferrier
Vice-président de D&DS   


[1] Pour plus d’informations, voire : Une constitution pour Genève dans un monde ouvert – ou l’utopie de la raison – Editions Slatkine, Genève 2005.

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