Lettre bernoise 69
En hommage à Günter Grass
Ade Günter!
Adieu Günter !
Trouve-toi un coin fumeur au paradis, tire sur ta pipe en paix.
A 87 ans, tu mérites le repos éternel. Tiens-toi à l’écart des âmes bien-pensantes qui te révoltaient ici-bas. Prends langue avec Jérôme Bosch, Rabelais, Grimmelhausen et des types de ton acabit. Réservez-vous une Stammtisch, (une table d’habitués) dans la meilleure auberge du Seigneur. Invitez-y vos personnages truculents, malséants, grimaçants, ceux qui font fuir les pisse-vinaigre, les rabat-joies, les peines-à-jouir et autres Spaßbremsen.
Né dans la ville allemande de Dantzig (devenue la ville polonaise de Gdansk) d’une mère cachoube et d’un père allemand, tu t’es trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Entre 10 et 14 ans, tu es enrôlé dans la jeunesse hitlérienne, manu militari. De tes déchirures, tu fis une œuvre.
Trop populaire pour les esprits chagrins, tu ne quémandais pas l’approbation. Tu ciselais les mots, les phrases au burin, comme tu l’avais appris par la sculpture (chez Hans Hartung) et la gravure. En citoyen, tu avais battu la campagne en 1969 aux côtés de Willy Brandt, fustigé de traître et de bâtard par la droite allemande la plus crasse. A l’époque, Brandt faisait campagne contre Kurt Georg Kiesinger, l’ancien politicien nazi qui, durant le troisième Reich, travailla pour le ministère des affaires étrangères avant de devenir Chancelier en 1966. Les staliniens de RDA te tinrent pour décadent, et pourtant du déploras la disparition de l’Allemagne de l’Est. Tu comparas l’unification de l’Allemagne avec «la première unification nationale de l’Allemagne, celle de 1871, et la proclamation de l’Empire allemand par Bismarck», porteur de deux guerres mondiales. Déchirement.
En 2012, tu avais eu l’audace de protester contre la livraison à Israël d’un sous-marin made in Germany, potentiellement porteur de charges nucléaires, en rappelant que l’Etat juif possède clandestinement quelque 200 missiles (soustraits aux contrôles de l’AIEA) quand l’Iran honni n’en possède aucun. Et d’affirmer que la détention de ces armes menaçait la paix. Même si ton œuvre proteste de l’accusation controuvée d’antisémitisme, tu ne coupais pas à l’injure habituelle des ultras sionistes.
Et comme, à 17 ans, tu avais commis la bévue de t’engager dans la SS sans savoir de quoi il retournait, bien qu’un de tes oncles maternels ait été tué par les troupes allemandes pénétrant en Pologne, tu tendais les verges pour te faire fouetter, mon pauvre Günter. A Nuremberg, tu compris. Ta vie durant, tu voulus laver l’affront que te fit l’histoire.
Volker Schlöndorf adapta brillamment Le tambour, qui lui vaudra la Palme d’or à Cannes, en 1979. Ses anguilles grouillantes, les cris d’Oskar fracassant les vitres, restent dans nos mémoires.
A la vitesse de l’escargot, ton animal fétiche, tambour battant, comme Oskar, tu entres dans la postérité, sans consensus ; complaire aux infâmes n’était pas ton propos.