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Transfrontalière - chantier - Histoire juridique de la frontière

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Alain Marti - Histoire de la frontière

Commission transfrontalière / Chantiers / Histoire


Conférence de Me Alain Marti, prononcée lors de la soirée inaugurale de D&DS à Divonne-les-Bains, le vendredi 23 avril 2010

Histoire juridique de la frontière.


Mesdames et Messieurs,

Les titres sont trompeurs. Je ne vais pas vous faire un exposé historique de la frontière, mais seulement choisir trois points d’histoire pour vous désorienter. L’histoire est le produit de décisions d’êtres humains, qui ne sont pas doués de préscience, en sorte que maintes décisions apparaissent après coup comme des erreurs. L’histoire est ainsi promue au rang de long tissu d’erreurs.

J’ai retenu trois sujets. L’histoire de la notion de frontière et de la notion de territoire, qui sont intimement liées la frontière commune de la France et de la Suisse et enfin la restriction de souveraineté de ces deux Etats à leur frontière.

Une frontière est une ligne marquée sur le terrain par un obstacle naturel, comme un cours d’eau, par exemple la Versoix  entre le Pays de Gex et Genève. Elle peut aussi être une ligne abstraite, matérialisée sur le terrain par des bornes.

     
Image de la borne de Sauverny


D’un côté de cette ligne, il y a un Etat et de l’autre, un autre Etat. Chacun d’eux s’organise chez lui comme il l’entend.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Au Moyen-Âge, la notion de frontière n’avait guère de sens. Aujourd’hui, un Etat se lie à ses citoyens par un ensemble de liens juridiques et le tissu social entre les gens est un autre ensemble de liensil y a ainsi des liens verticaux avec l’Etat et des liens horizontaux entre les habitants.
Au Moyen-Âge, toute la vie juridique et sociale se coule dans une pyramide. Chacun est sujet d’un suzerain et le schéma se reproduit plusieurs fois dans la hauteur de la pyramide. Les rapports sont donc des rapports de subordination personnelle. L’activité étatique par excellence, c’est la justice. Loin d’être le parent pauvre de l’activité étatique, comme de nos jours, elle est au contraire sa principale sinon sa seule expression.

Rendre la justice est un droit comparable à ce qu’est aujourd’hui un droit de propriété. Il peut être morcelé. On distingue ainsi la basse et la haute justice, selon la gravité de délits commis. Les titulaires du droit de rendre la justice à un endroit donné peuvent être différents.  

Par exemple, le village de Moens, près de Ferney, appartient à la Ville et République de Genève en matière de basse justice et au Duc de Savoie en matière de haute justice. Naturellement, à partir du moment où le pays de Gex est devenu français, la haute justice est revenue au roi de France. Cette situation est compliquée. Elle peut être lourde de conséquences pour le justiciable. Celui qui n’est pas content de la sentence qui a été prononcée en première instance par le châtelain peut recourir. Si c’est en matière de basse justice, l’autorité  de recours est à Genève, c’est-à-dire à deux heures de marche. Si c’est en matière de haute justice, l’autorité de recours est à Chambéry, puis à Dijon, soit à des jours de marches.

Cette situation va durer jusqu’au Traité de  Paris  des 27 août et de 8 septembre 1749 par ce traité le roi de France acquière un droit exclusif sur Moens, Chalex, Thoiry, Fenières, St Genis, Feuillasse. En échange, il cède des droits exclusifs à la Ville et République de Genève sur Bourdigny et Russin. A partir de 1749, il y a des frontières claires entre le royaume de France et la République de Genève.   Leurs  territoires respectifs sont bien délimités..

De l’autre côté du Rhône, on procède à un échange comparable. C’est le Traité de Turin du 3 juin 1754   Bossey, le village du pasteur Lambercier, chez qui Jean Jacques Rousseau a passé les deux plus belles années de son enfance, devient définitivement piémontais.

L’idée de territoire apparaît avec la volonté de l’organiser. Pour cela, il faut une classe de ministériaux qui sachent écrire et qui connaissent le droit. Ce sont les gens de robe, qui passent par des universités. Comme on le voit, c’est une époque nouvelle qui s’affirmela création des universités ( Bologne, la Sorbone, Prague, Bâle ) permet la formation de notaires et ceux-ci permettent au suzerain d’organiser son territoire. Voilà comment se forge petit à petit la notion de frontière.

Dans la région qui nous intéresse, il faut citer l’effort des comtes de Savoie. En 1365, le Comte Amédée VI, obtient une bulle de l’empereur Charles IV, roi de Bohème, pour l’ouverture d’une université à Genève. Mais le prince-évêque de Genève, fort de son droit de suzerain sur la ville a recouru contre cet empiètement sur ses prérogative et, après vérification, la cour impériale lui a donné raisonla bulle a été annulée. Voilà donc le comte réduit à faire former ses clercs dans des universités lointaines.

Mentionnons aussi la tâche énorme accomplie par Amédée VIII, dernier comte de Savoie et premier Duc de Savoie, qui allait devenir Pape sous le nom de Félix V. Il est parvenu à réunir et à unifier un immense territoire qui va de Bourg en Bresse à Nice et s’étend des deux côtés des Alpes.

Remarquons en passant qu’il faut se méfier des motsil en apparaît de nouveaux avec le temps et leur sens change. Ainsi le mot françaisPendant longtemps, ce mot n’a pas servi à désigner des gens. Jusque sous Henry IV le Grand, les sujets de sa Majesté étaient désignés dans les actes officiels comme les habitants du royaume, selon un  mot composé sur des racines latines, les régnicoles. On est encore loin du temps où Bernardin de Saint Pierre écrira que le cri «le roi» est le cri de joie et de désespoir de tous les français.

Pour la Suisse, c’est pire. Le mot n’existe tout simplement pas. L’espace géographique entre le Rhin et les Alpes est appelé Haute Allemagne. L’imprimeur et savant Thomas Platter appelle l’Oberland Bernois Allemagne.  En matière politique, on parle des ligues, éventuellement des confédérés, voire des Eidgenots, qui a donné en français les huguenots. Le besoin d’un mot particulier pour distinguer les suisses de leurs semblables souabes ne se fera jour que dès les traités de Westphalie en 1648. A une époque où on n’avait pas encore pris l’habitude Louis quatorzienne d’habiller les soldats «d’une parure», sur les champs de bataille les confédérés se reconnaissaient  à ce qu’ils avaient cousu sur leur pourpoint une longue croix blanche, les armes de Schwytz, ce qui leur a valu de s’appeler schwytzer. De la viendra le mot Suisse. Par commodité, je vais me servir de ce mot, même s’il est un peu anachronique pour la période dont je vais vous parler en abordant le second volet de ma présentation.

Si nous regardons une carte du début du seizième siècle, deux choses ne peuvent manquer de nous étonnerentre la France et la Suisse, il n’y a pas de frontière commune. En revanche la Suisse a deux frontières communes avec l’Espagne et la France en trois. Milan, au sud de la Suisse, est en effet espagnole, tout comme la Franche Comté à l’Ouest. C’est un héritage de Charles Quint. Et de plus, à l’Est, c’est la même famille des Habsbourg qui domine l’Autriche. C’est donc un véritable encerclement.

Carte en couleur de l’Europe au XVIe siècle


Il en va de même de la FranceL’Espagne est aux Pyrénées, bien sûr, mais aussi en Franche Comté et pareillement au nord, puisque les Pays Bas, qui comprennent la plus grande partie de la Belgique d’aujourd’hui sont espagnols. Et de plus, la Savoie est le plus souvent dans la sphère d’influence de l’Espagne.

Il en résulte tout naturellement que la politique des deux pays ( pour autant que la Suisse ait une politique )  va tendre à briser cet encerclement. Les deux pays poursuivent donc le même but avec le même adversaire et ils se retrouvent donc  alliés par la force des choses. Rien d’étonnant donc à ce qu’ils aient conclu dès le lendemain de la bataille de Marignan une paix perpétuelle, qui sera solennellement confirmée par Louis XIV.


Tapisserie de la paix perpétuelle


Leurs efforts vont donc tendre à l’établissement d’une frontière commune. Cela se fera en deux étapes.

En 1536, sans crier gare, les Bernois envahissent les Etats de Savoie et, grâce à l’effet de surprise, ils ne rencontrent aucune résistance les savoyards ne les attendaient pas. L’intention des Bernois était claire aller à Chambéry et rejeter le duc Charles III de l’autre côté des Alpes. Mais le roi de France François Premier voulut sa part du gâteau et il fit savoir aux Bernois qu’il leur enjoignait de s’arrêter afin de pouvoir lui aussi se tailler un grand morceau de terrain conquis. Le Réformateur Froment exprime cela d’une manière qui mérite une citation

Les Bernoys et les Geveysans voyans qui ne restoit plus à rendre en subjection que la forteresse de Chillon au coing du Lac, se sont mitz en deboyr , ung peu après la prinse de Yverdon de eslire quelque nombre de gens pour y aller. Ce voyant, les Fribourgoys ne furent pas lasches à prendre aussi du pays du poure Duc de Sauoye, yaçoit quîls eussent quitté l’alliance de Geneve, soulbz la coulleur de maintenir la Chrestienté, qu’ilz appellent la loy du Pape et la Messe. Les Valleysans aussi, de l’aultre cousté, soubz celle mesme coulleur, ont prins une manche du pays d’icelluy Duc, disans que c’est pour maintenir la Chrestiandaret de présent en tiennent enuiron de deux journées, et les Fribourgeois vne journée, les Bernoiys enuiron de troyxs iournees de longueur et deux de largeur. En iceluy mesme temps, le Roy de France print à son oncle le Duc de Sauoye presque le reste de tout son pays , excepté le comté de Nivyce, et cve l’que L’empereur print au Piémont , voyant que chacun tiroit vne plume de ce Duc, il en print aussi pour colloriser son oyseau de Millan. Et ainsi le poure Duc fust plumé de tous coustés en ung mesme temps et maintenant est presque sans plumes.

Son fils Emmanuel Philibert parvint à se faire rendre les territoires occupés par la diplomatie, sauf le pays de Vaud que les Bernois gardèrent, mais pas sans craindre que la Savoie ne le réclame aussi, crainte qui a dominé leur politique jusque vers 1700.  Ainsi, pendant quelques décennies, Bernois et Français ont eu une frontière commune.

Deuxième étape,  au tournant du siècle, Henry IV le Grand envahit la Bresse, le Bugey et le Pays de Gex qu’il se fait céder définitivement par la Savoie. Remarquons en passant que cela signifie que, la nuit  de l’Escalade, La France s’étendait jusqu’à Cornavin, ce qui montre l’absurdité du projet de conquête du Duc Charles Emmanuel.

A partir d’Henry IV,  il y a donc  quatre acteurs dans la région Sa Majesté ( le roi de France ),   Son Altesse ( le duc de Savoie ),  la nébuleuse des Suisses, principalement Berne,  et la Ville et République de Genève.
Nous allons survoler les dix-septième et dix-huitième siècles, en mentionnant simplement le caractère envahissant de Louis XIV. Lorsque celui-ci occupa en pleine paix la Ville de Strasbourg pour étendre la France jusqu’au Rhin, les Genevois ont tremblé pour leur indépendance. La présence d’un Résident de France en ville de Genève était propre à transformer la ville en protectorat français. Se penchant sur l’histoire de Genève, l’historien Herbert Luthyqualifie cette ville de «ôt en contrebande et banque extraterritoriale de la France.»  Il y a parfois des constantes en histoire…
En 1792la première République Française s’empara d’Avignoncomme Louis XIV s’était emparé de Strasbourg, ce qui raviva les craintes des Genevois. Un nouveau mot circula dans la ville  la crainte d’être avignonée. Et vous savez que c’est ce qui advint six ans plus tard.

Après les sanglantes épopées napoléoniennes, le Traité de Viennesur pied un grand remaniement territorial du continent.

Le pays de Gex avait un représentant au congrès, mais on ne l’écouta pason ne le reçut même pas. Dans l’Europe de Metternich, l’idée même que des populations puissent vouloir s’exprimer sur leur sort était insupportable.  Tout autre fut l’accueil réservé aux représentants de Genève. Cette ville avait été le centre de l’anglophilie sur le continent et dans l’empire français, en sorte que Lord Nesselrode était fort bien disposé à l’égard de la petite République. Le chef de la délégation, Pictet de Rochemont, avait été le précepteur du Tsar Alexandre, en sorte que la porte de l’empereur lui était toujours ouverte et que la bienséance commandait aux autres souverains de faire comme le Tsar. Et enfin, aux côtés de Pictet de Rochemont, il avait le banquier Eynard, dont l’épouse était la plus belle femme d’Europetout le monde l’avait remarquée et personne n’ignorait qui était Eynard.

Le Prince de Talleyrand, représentant de la France ne voulait rien savoir d’une concession territoriale à Genève. Les autres grandes puissances finirent par lui imposer de céder quelques arpents de terre pour assurer une continuité territoriale entre Genève et la Suisse. Talleyrand, irrité de l’insistance des autres, finira par lâcher ce sarcasme«il y a quatre continents et Genève»( A l’époque on ne comptait pas encore l’Océanie ).

Pendant deux siècles, la rive française du lac avait été la rive droite, grâce au port de Versoix. Après 1815, la France n’eut plus accès aux rives du Léman. Dès 1866, soit dès l’annexion de la Savoie, la rive française du lac sera le rive gauche avec les ports de Thonon et d’Evian. 



Carte des zones franches du côté français

Voyons à présent les restrictions que les puissances ont imposées à la souveraineté de la Suisse et surtout de la France. Je veux parler des zones. Il y en a eu plusieurs. La plus connue est évidemment la zone franche, soit un territoire sur lequel le royaume de France pouvait percevoir des impôts mais pas de droits de douane. Cette zone recouvrait tout le pays de Gex

Il y a le pendant, bien que territorialement plus réduit, du côté de la Savoie.


Carte des zones franches du côté savoyard   On les a appelées les petites zones, par oppositions à celles que Napoléon III créa en 1866 par une décision unilatérale. Lors du plébiscite par lequel la population du duché fut appelée à se prononcer sur la possibilité d’un rattachement à la France, une pétition avait recueilli des milliers de signatures dans une population en majorité illettrée pour un rattachement à la Suisse. Napoléon III ne voulut pas offrir cette possibilité de choix aux habitants, mais il fit passer la potion amère en octroyant les grandes zones, soit un territoire immense, englobant tout le Chablais et tout le Faucigny.


Carte des grandes zones


Après la première guerre mondiale, Poincaré supprime les zones d’un trait de plume le 10 novembre 1923. Le gouvernement fédéral protesta et n’obtint rien d’autre qu’un nouveau traité, fort peu avantageux pour la Confédération Helvétique. Le peuple suisse le rejeta à la faveur d’un référendum, ce qui contraignit le Conseil fédéral à saisir la toute nouvelle Cour de Justice Internationale de la Haye. Par un arrêt de 1932, celle-ci donna partiellement raison à la Suissela France fut contrainte de rétablir les petites zones.  

Ainsi les zones franches subsistent. Elles ont été largement vidées de leur substance  par le fait que la France est autorisée à prélever des impôts autres que les droits de douanes. Or la TVA n’est pas un droit de douane, mas cette taxe est beaucoup plus importante que les droits de douanes.

Il semble que les régime des zones a été profitable à au secteur agricole, mais qu’il a entravé la constitution d’industries locales dans les zones, ce qui est préjudiciable au pays de Gex. Le bilan est donc mitigé.

Ce qu’on sait moins, c’est que la Suisse a dû elle aussi créer des zonesce sont les zones fédérales sur 6 km de profondeur depuis la frontière, ce qui englobe pratiquement tout le territoire du canton de Genève,  les paysans français ont le droit d’exploiter des bienfonds agricoles et de ramener en France le produit de leur exploitation.  Il est vrai qu’il y a fort peu de paysans qui profitent encore aujourd’hui de cette faculté.

Enfin, restriction suprême de la souveraineté la zone de neutralité.  Elle est intéressante comme révélateur des préoccupations du congrès de Vienne. Comme on avait vu les armées françaises passer plusieurs fois les Alpes, on trouva un expédient pour empêcher une nouvelle invasion de l’Italie. Le congrès de Vienne partagea la tâche entre deux Etatsle Piémont et la Suisse. La garde du Mont Cenis était dévolue au roi du Piémont, alors que celle du Simplon et du Grand St Bernard était confiée à la Suisse. Il s’agissait d’empêcher une armée française de passer par le Chablais. De là la création d’une zone neutre, où seule la Suisse pouvait , et au besoin, devait envoyer des troupes.

 Carte de la zone de neutralité

Fort heureusement, cette zone n’a jamais servi à rien.

Ainsi les zones franches subsistent. Dans l’immense marché de la Communauté européenne, ce petit lambeau de territoire est le seul a être soumis à un régime spécial, contraire à l’esprit libéral d’un grand marché continental unique soumis à des règles uniformes.  Il paraît que ce cas spécial donne des aigreurs d’estomac à ces Messieurs de Bruxelles.  

Il convient enfin de parler d’une page particulièrement triste de l’histoire de la régionles échanges de population.

Les échanges de population font toujours  du plus pauvre vers le plus riche. Là aussi c’est une constante de l’histoire. L’horrible période de 14-18 a provoqué une terrible saignée du pays de Gex et de la Savoie. Beaucoup de hameaux ont été complètement abandonnés parce que les hommes n’étaient pas rentrés du front et que les femmes, incapables de maintenir seules leurs petits domaines, ont dû trouver un emploi dans de grandes villes, à Lyon, à Dijon ou à Paris. Or à cette époque, la Suisse était tellement pauvre, que le sol ne suffisait pas à nourrir toute la population. L’équilibre entre la production agricole et la population était rompu.  La Confédération ne trouva pas de meilleur remède que de verser des subsides aux jeunes Suisses qui voulaient tenter l’aventure de s’expatrier et d’aller chercher sous d’autres cieux des conditions de vie plus favorables. Beaucoup sont partis peupler New Glaris, New Geneva ou Nova Friburgo. Beaucoup ont aussi émigré en Savoie ou dans le pays de Gex. Ces malheureux, que la misère chassait de Suisse, ont repris les exploitations des malheureux qui n’étaient pas revenus de la grande guerre. La France était alors le pays de cocagne où un paysan pouvait vivre du produit de sa terre. Voyez comme les temps changent…

Ajoutez à cela que les zones permettent aux paysans de Genève d’exploiter des terres en zones et de ramener le produit de leur exploitation sans droits de douanes à Genève et que, les prix des produits agricoles étant plus élevés en Suisse qu’en France, les agriculteurs suisses peuvent acheter des terres à des prix plus élevés que leurs collègues français. Cette situation a immanquablement provoqué une extension des domaines des paysans genevois dans les zones au point d’entraîner des conséquences à peine croyables.  Tel a en effet été accaparement des terres agricoles dans le pays de Gex par des Suisses que, après 1945, sur 197 propriétaires étrangers de terres agricoles, 171 sont suissessur 132 fermiers étrangers, 113 sont suisses.   (Tardy page 93 )   Vers 1960, 30% des terres arables du pays de Gex et des pâturages étaient exploités par des Suisses.

Aujourd’hui, les rapports à la frontière se sont inversés.  Non que la pauvreté aurait disparu en Suisse, mais Genève est opulente et offre des place de travail  à une période où il y a du chômage en France. Comme on le sait, un grand nombre de frontaliers viennent travailler à Genève chaque jour. Souvent ce ne sont plus d’authentiques gessiens, mais des gens venus de Picardie, de Bourgogne ou d’Aquitaineils sont français et s’installent chez eux, même s’ils sont souvent plus éloignés des gessiens que les Suisses, qui n’ont aucun droit, mais qui sont souvent sur place depuis des décennies.

Le rapport entre un individu et l’Etat a beaucoup changé depuis
La fin de la deuxième guerre mondiale. L’Etat s’est donné des tâches multiples et impose à l’individu un réseau complexe de liens dans divers domaines. Pensez à l’instruction publique ou aux assurances sociales. L’importance de ces liens rend difficile de passer la frontière. Curieusement, à une époque où la Communauté européenne lutte pour abolir les frontières, les Etats membres enserrent les individus dans des réseaux toujours plus contraignants, ce qui rend le franchissement des frontières plus difficile.

Pour finir, je voudrais vous raconter une anecdote vous ne trouverez dans aucun manuel d’histoire, mais que je tiens de celui qui l’a vécue. Il y a fort longtemps, j’ai fait mon stage d’avocat en l’étude Perréard. J’y ai bien connu le grand François Perréard. Il avait été substitut du Procureur Général, député, conseiller d’Etat, conseiller National, Conseiller aux Etats. C’est lui qui présidait le Conseil d’Etat au moment où l’on a créé l’ONU. Le Conseil d’Etat offrit un banquet de bienvenue aux premières délégations qui vinrent à Genève. Parmi les présents, il y avait le ministre des affaires étrangères de la République Française.  François Perréard l’a tiré par la manche et emmené à l’écart pour lui exposer son point de vue. Il serait de l’intérêt commun de la France et de Genève, lui a-t-il dit, que le siège central de l’ONU fût à Genève et que la France consacrât le pays de Gex au développement des institutions décentralisées de l’ONU ( BITOMS, OMM, UIT, etc.). Réponse de ce ministre«ne sommes pas intéressés.»

Cette réponse tranche avec le soin et l’insistance que met le gouvernement français aujourd’hui à favoriser la candidature de Genève comme siège de nouvelles organisations internationales, car il sait que la présence des ces organisations dans un pays de langue française est un moyen de favoriser le français comme langue internationale.

Je ne sais pas si le refus de ce ministre a été une occasion ratée pour Genève. Je n’ose rien dire en ce qui concerne le  pays de Gex. Mais je sais avec certitude que cette réponse négative a été une occasion ratée pour la langue française.  Et pourtant cette langue merveilleuse est un des nombreux liens qui nous unit et qui nous permet de nous comprendre.

Me Alain Marti, Divonne-les-Bains, le 23 avril 2010

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