Conférence de Rémy Hildebrand

Publié par DDS le

Déjeuner-débat à Genève

D&DS

Saison 2012-2013

Vendredi 8 juin 2012

au

6, rue de la Scie 1207 Genève

Nous aurons l’honneur de recevoir

Rémy HILDEBRAND

Rémy Hildebrand

Journaliste et écrivain

Fraternité, démocratie: dialogue dans le cas du tricentenaire de la naissance de J.-J- Rousseau

11h45  Accueil

12h10 Repas

13h00 Déjeuner-débat

Débats réservés aux Francs-maçons et Franc-maçonnes

Soyez les bienvenu(e)s.

Document :

1.- Jean-Jacques ROUSSEAU : Les difficultés d’une démocratie véritable

Dans ce texte du Contrat Social, Rousseau s’attache à l’analyse de ce que serait une démocratie véritable, satisfaisant à toutes les exigences que semble sous-entendre son sens étymologique. Il pose ainsi pour principe qu’une telle forme de gouvernement relève d’un idéal inaccessible aux hommes, car par trop exigeant.

Pour ce faire, l’auteur commence par une analyse purement quantitative : si  » démocratie  » signifie  » pouvoir du peuple « , elle engage une participation et un engagement constant de celui-ci dans les discussions et les prises de décisions, ce qui s’avère difficile, voir contre-nature.
Par suite, cette implication collective requiert qu’un certain nombre de conditions pratiques soient satisfaites, faute de quoi cet exercice commun de l’autorité politique ne saurait être mis en œuvre : petit état, simplicité de mœurs, égalité sociale, et abolition du luxe.
En outre, ces exigences pratiques ne sauraient elles-mêmes aller sans une exigence morale, car seule la vertu, comprise ici comme qualité éminemment sociale, nous poussant à vouloir et à faire le bien, peut nous permettre de répondre à tous ces impératifs.
Enfin, et parce qu’elle sous-entend un débat d’opinions, lesquelles sont par nature changeantes et diverses, la démocratie nécessite de la part des citoyens beaucoup de volonté, voir de courage, pour être maintenue malgré l’instabilité caractérisant son fondement.
Nous le voyons donc, Rousseau, s’il ne remet pas en question la valeur théorique de la Démocratie, fait cependant de celle-ci un régime politique utopique supposant une nature humaine idéale.
Pourtant, comme tout idéal, le modèle démocratique semble d’un intérêt certain, et il serait dangereux de renoncer à sa mise en œuvre. Peut-être conviendrait-il en effet de réaffirmer avec force et conviction cette formule citée par

Rousseau :  » Mieux vaut une Liberté dangereuse, qu’une servitude tranquille « .

Du Grec Démos signifiant le peuple, et cratos, le pouvoir, le terme de Démocratie semble devoir désigner une forme de gouvernement où l’autorité politique ne serait pas l’apanage d’un individu ni même d’une élite, mais bien plutôt la propriété d’un peuple dans son ensemble. Ceci engagerait donc que toute décision soit l’expression, non d’une volonté particulière, mais générale, c’est-à-dire la traduction d’un intérêt commun qui ne peut transparaître qu’au travers de la confrontation des intérêts privés.
 » Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun ; l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme des volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale « . Rousseau ; Du Contrat Social.

Aussi semble-t-il nécessaire, pour le respect de l’idéal démocratique, que tous les citoyens participent au débat politique, et ce de façon systématique, faute de quoi les décisions qui pourraient être prises ne seraient plus véritablement adéquates à cette volonté générale ou volonté du peuple, posée comme fondement d’une telle forme d’état.
Cela dit, il semble difficile d’affirmer la possibilité d’une telle constitution.
En effet, l’idée même d’une autorité commune pose problème : en dehors de la société humaine, et de façon générale dans la nature, l’autorité n’est a priori jamais également répartie entre les individus. Certes, nous pourrions ajouter que généralement cette autorité s’acquiert par la force, et ainsi reposer le problème de ce fameux droit du plus fort, supposé dans la nature, et dont certains ont pu s’inspirer pour concevoir un modèle politique. Ainsi Hobbes en vint-il à user de celui-ci jusqu’à en faire l’essence même de ce grand Léviathan, Etat fort et autoritaire,  » pouvoir visible visant à tenir les hommes en respect, et à les lier, par la crainte des châtiments, tant à l’exécution de leurs conventions, qu’à l’observation des lois de nature.  » Hobbes ; Léviathan.

Mais ce serait oublier que ce terme de droit n’ajoute rien à la force, et que pour être légitime, une autorité, même politique, ne peut s’exercer et être maintenue que si ceux qui y sont soumis le sont en vertu d’une obligation morale, c’est-à-dire par devoir. Néanmoins, que cette autorité repose sur la force, ou encore sur un charisme ou une sagesse reconnue, et finalement, quelque soit le principe sur lequel elle s’appuie, elle n’est généralement la propriété que d’un petit nombre, et jamais de l’ensemble de la collectivité, puisque toujours elle renvoie à une caractéristique spécifique.
Par ailleurs, envisager l’exercice commun du pouvoir politique engage de la part des citoyens une disponibilité et une attention de tous les instants. Or, comment envisager qu’un peuple puisse rester incessamment assemblé ? Ce serait supposer une existence exempte de tout impératif particulier, ignore les contraintes de la vie quotidienne : travail pour subvenir à ses besoins, taches domestiques…, mais aussi prétendre un intérêt génral pour la vie politique et les affaires publiques (res-publica), ce qui ne semble pas garanti.
Faute d’une implication effective et constante de l’ensemble des citoyens, grande est la tentation de confier à des commissions, c’est-à-dire des groupes restreints d’individus, la tache de réflexion et d’entente préalable, nécessaire à toute prise de décision. Mais c’est là considérablement appauvrir le débat politique, et par suite dénaturer la démocratie véritable, qui ne peut s’appuyer que sur un débat public : la volonté générale ne saurait être obtenue et suivie dans de telles conditions.

Quoi de plus facile en effet, pour un petit groupe d’individus, que de se mettre d’accord sur une ligne de conduite, et, par suite, de tronquer les débats, d’influencer les décisions, en présentant comme solution raisonnée, des intérêts particuliers, ou bien encore en restreignant volontairement le nombre des choix offerts à des individus qui n’auraient pas pris le temps de la réflexion, et ainsi d’abuser de leur confiance en s’octroyant insidieusement un pouvoir et une autorité accrue, mais non légitime ?
Nous le voyons donc, la Démocratie, au sens étymologique, engage une constitution bien précise, ne souffrant aucune concession.
Or, il apparaît nécessaire qu’un certain nombre d’exigences pratiques soient satisfaites pour qu’un tel régime puisse voir le jour.

Tout d’abord, il ne saurait s’exercer convenablement sur un territoire trop vaste, ni s’appliquer à une population trop importante : assembler un peuple entier engage en effet que celui-ci puisse aisément et rapidement se regrouper et sous-entend donc une certaine proximité. Et dans la mesure où, non seulement chaque citoyen doit pouvoir prendre part au débat, mais encore où les décisions prises doivent viser l’intérêt général, et engagent donc une bonne connaissance des intérêts particuliers, seule une collectivité limitée pourra prétendre à une telle forme de gouvernement.
Secondement, et c’est un fait d’expérience, la multiplicité et l’hétérogénéité des habitudes de vie, la diversité des us et coutumes, favorisent toujours l’apparition de conflits au sein d’une société. Or, plus les difficultés sont nombreuses, plus les solutions sont complexes à découvrir. L’expression d’une volonté générale sera en effet d’autant plus aisée à dégager que les intérêts particuliers à surmonter et à concilier seront en nombre limité. En cela, une grande simplicité de mœurs semble donc bien nécessaire.

Ensuite, tout débat véritablement démocratique suppose que les interventions de chaque citoyen aient autant de valeur les unes que les autres, et donc qu’aucun n’est la possibilité d’acquérir ou d’exercer sur l’autre une plus grande autorité ou influence. Ceci ne semble pouvoir se réaliser que si règne au sein de la collectivité la plus grande égalité qu’il soit possible d’obtenir, tant dans les rangs que dans les fortunes. Car si celui qui dispose d’une certaine aisance financière pourra, sans que son confort en pâtisse, facilement se consacrer à la chose publique, il n’en va évidemment pas de même pour celui qui, pour subvenir à ses besoins, doit exercer une activité professionnelle. Par suite, cette inégalité risque également d’en faire apparaître une autre, puisqu’il est courant que le second dépende financièrement du premier, ou, à défaut, que le premier puisse exercer une influence directe ou indirecte sur le second, soit que l’un soit salarié de l’autre, et fasse preuve d’une certaine retenue, soit que l’autre, ou bien soit plus présent lors des prises de décisions et ainsi obtienne une plus grande influence, ou bien puisse exercer directement son autorité sur le premier.

Enfin, il convient que le luxe soit absent de la société démocratique, en tant qu’il représente, pour cette dernière, un danger. Cette exigence semble d’ailleurs pouvoir se déduire logiquement de la précédente, puisque le luxe, outre son côté inessentiel, et donc la superficialité qu’il engage chez l’individu qui le recherche, suppose également une inégalité sociale : le luxe ne peut être en effet que l’apanage de quelques uns dans la mesure où parmi les choses qui le caractérisent, nous retrouvons la rareté et le côté dispendieux. En sorte que l’objet de luxe peut devenir marque d’appartenance sociale, et donc affirmer les différences et par suite susciter la convoitise et créer les conflits. Cela étant, la recherche du luxe, en tant que recherche de l’inutile et du superflu, peut également amener à une perte des priorités et des valeurs fondamentales dont la Démocratie ne peut s’accommoder, et reste la marque d’un esprit commandé par les passions ou les désirs, et non par la raison. En cela, il est annonciateur bien plutôt d’un règne de l’opinion, que de la réflexion, et est donc nécessairement négatif.

De l’analyse des conditions requises pour l’exercice d’une Démocratie véritable, c’est tout naturellement que nous sommes finalement amenés à postuler chez le citoyen idéal une vertu sans faille, tant les exigences d’un tel régime sont nombreuses. La vertu en effet, parce qu’elle désigne toute qualité humaine nous poussant à vouloir et à faire le bien, semble indispensable à la réalisation et au maintien d’une telle société politique.
A noter cependant que ce n’est point là une spécificité de la Démocratie, mais que de façon générale, tout état, en tant qu’il suppose une forme de contrat, même tacite, et en tant que sa pérennité dépend du respect de ce contrat et par suite de la constitution, suppose ces qualités éminemment sociales que la vertu désigne. Si l’état vise le bien de la société, le fondement de l’état doit renvoyer et s’appuyer sur la volonté des citoyens d’accéder au bien commun.
Mais il est vrai que, parce qu’elle engage le peuple dans son ensemble, et que son essence est la volonté du peuple, la démocratie, plus que tout autre régime, engage cette vertu, faute de quoi la multitude des conflits d’intérêts particuliers rendrait bien vite impossible son fonctionnement ou la rendrait inefficace.

La Démocratie est donc bien un régime exigeant, mais aussi extrêmement fragile et instable, ce qui se laisse aisément expliquer par l’essence même de son fondement, à savoir la volonté générale. Celle-ci en effet n’est pas assimilable à la volonté de tous, mais n’est que le résultat de l’entre destruction des volontés particulières ou opinions qui s’opposent. Or, par définition, les opinions sont changeantes et mal assurées, d’où une volonté générale quelque peu lunatique dont les renversements et contradictions successifs expliquent nécessairement conflits et luttes intestines. Il faut pourtant parvenir à dépasser ces oppositions et sauvegarder la forme de la république, ce qui exige de la part des citoyens courage et constance, mais aussi vigilance, afin de veiller au respect de la constitution et des institutions.
En ces circonstances, l’on pourrait concevoir que parfois les citoyens renoncent et abdiquent face aux difficultés, mais il faut faire un choix : la liberté ou la facilité. Si la démocratie est aussi idéale qu’elle paraît, et si grâce à elle notre liberté et nos droits peuvent être garantis, les efforts et concessions qu’elle demande valent certainement la peine d’être endurés. D’où cette affirmation riche de sens et qu’il conviendrait de toujours méditer :  » mieux vaut une liberté dangereuse qu’une servitude tranquille « . L’homme doit se donner les moyens de sa liberté.

Ainsi la perfection d’un tel régime est évidente, mais semble finalement sérieusement contraster avec notre nature véritable, et il n’est pas certain que l’homme puisse répondre et satisfaire autant d’exigences.
Mais, plutôt que de renoncer à un tel idéal, ne devons-nous pas accorder aux hommes le bénéfice du doute et leurs laisser une chance de l’atteindre ?
© GUICHARD Jérôme.

2.- Jean-Jacques Rousseau et la démocratie




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