Publié par Jacques de Saint Victor et Jean-François Gayraud dans Politique · 14 Décembre 2017
Terrorisme et crime organisé. Une nouvelle perspective stratégique : les hybrides
par Jacques de Saint-Victor et Jean-François Gayraud
Les auteurs des attentats commis en France et en Belgique en 2015 et 2016 proviennent presque tous du monde du gangstérisme. A l’origine, la grande majorité de ces terroristes sont originellement et essentiellement des criminels et des délinquants de droit commun. C’est l’une des conclusions de cette puissante réflexion conduite par deux experts au sujet de la criminalisation du politique. Parce que l’histoire criminelle est en passe de devenir une part essentielle de l’histoire du pouvoir la lecture de ce document de référence s’impose.
Ce texte novateur a été rédigé dans la perspective d’une présentation orale à l’occasion des VIIIe Assises nationales de la recherche stratégique organisées par le CSFRS le 30 novembre 2017 à Paris, Ecole militaire, amphithéâtre Foch. Jacques de Saint Victor et Jean-François Gayraud ont brillamment assuré la première table ronde intitulée : « Les hybrides : la nouvelle perspective stratégique ».
Publié par Autorités religieuses Lyon – 18 Février 2015
Texte de l’Appel «Nous nous engageons … » proclamé, place Bellecour, le 1 er octobre 2014, par les responsables des religions de Lyon
Reconnaissons humblement que les événements actuels ne sont pas que la faute des autres. Par le silence ou l’indifférence des uns, la compromission des autres et les louvoiements en matière de stratégies politiques et d’idéologies religieuses, nous portons une part de responsabilité. * Aujourd’hui, avec force, à travers différents appels et déclarations, les principaux responsables des communautés juives, chrétiennes et musulmanes ont dénoncé les violences à l’égard des minorités et reconnu le droit à tous de pouvoir rester et vivre librement sur leurs terres, dans la dignité et la sécurité, et à pratiquer leur foi. Mais il nous faut aller plus loin, à savoir nous engager ensemble, juifs, chrétiens et musulmans, là où nous vivons, à œuvrer au quotidien pour être des artisans de paix et de justice, pour faire reculer l’extrémisme, la persécution et le mépris de l’autre. Aussi:
Nous, diacres, évêques, imams, muftis, prédicateurs laïcs, pasteurs, prêtres, rabbins, nous nous engageons à travers nos prédications à promouvoir le respect de l’autre croyant et à inviter nos fidèles à être des citoyens actifs pour contribuer à une société fraternelle et solidaire;
Nous, enseignants, formateurs, éducateurs et catéchètes, nous nous engageons à favoriser auprès des enfants et des jeunes l’ouverture, le respect et la connaissance des autres cultures;
Nous, responsables d’institutions et de mouvements, nous nous engageons à favoriser l’écoute, le dialogue et le débat franc et respectueux qui conduit à l’estime mutuelle;
Nous, écrivains, journalistes, responsables de publication, nous nous engageons à développer dans nos médias une culture de paix et de citoyenneté, et à relayer toute initiative, action ou information invitant à la fraternité humaine;
Nous, élus et militants politiques, nous nous engageons à respecter, défendre et promouvoir, concrètement et pour tous, les valeurs qui fondent notre République: Liberté, Egalité, Fraternité;
Nous, syndicalistes, ouvriers, artisans et chefs d’entreprise, nous nous engageons à soutenir les projets qui permettent aux jeunes de s’ouvrir aux autres, pour aller au-delà des idées reçues, s’enrichir des différences et trouver leur place dans la société;
Nous, artistes, cinéastes et réalisateurs, nous nous engageons à initier et promouvoir des spectacles musicaux, films et pièces de théâtre qui promeuvent la culture du dialogue, l’écoute de l’autre et l’acceptation des différences;
Nous, intellectuels, éditeurs et penseurs, nous nous engageons à encourager toutes les initiatives de rencontres (forum, colloque, débat…), publications et espaces de réflexion qui favorisent le vivre-ensemble et luttent contre toutes les formes de rejet et d’extrémisme;
Nous, parents, nous nous engageons à transmettre à nos enfants ces valeurs millénaires que nos textes sacrés nous ont transmises, tel que le pardon, la miséricorde et la fraternité;
Nous, militants associatifs de tous horizons, nous nous engageons à développer les activités, loisirs et rencontres susceptibles d’apporter aux jeunes et aux enfants l’équilibre psychologique, spirituel, physique et intellectuel dont ils ont besoin.
Vous qui lisez ce texte, qui veut être une charte à l’engagement concret au quotidien, soyez nombreux à nous rejoindre! Ainsi, croyants, citoyens, de toutes générations, nous nous engagerons ensemble, dans notre quotidien, à favoriser des attitudes de dialogue et de respect de l’autre pour construire ensemble un monde de paix.
Cardinal Philippe Barbarin, Archevêque de Lyon
Père Eklemandos, Eglise copte orthodoxe
Révérend Ben Hading, Eglise anglicane de Lyon
Père Garabed Harutyunyan, Eglise Apostolique Arménienne
Monsieur Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon
Père Nicolas Kakavelakis, Eglise orthodoxe grecque de Lyon
Monsieur Joël Rochat, Président du Consistoire du Grand Lyon de l’Eglise protestante unie de France
Monsieur Richard Wertenschlag, grand rabbin de Lyon
Définitions, questions et réponses sur les formes de terrorisme.
par Arnaud BLIN, Spécialiste de géopolitique et de politique américaine.
Ancien directeur du Centre Beaumarchais (Washington), ancien chercheur à l’Institut diplomatie et Défense (Paris), actuellement chercheur à l’Ecole de la paix(Grenoble). co-auteur de L’histoire du terrorisme de l’antiquité à Al-Qaïda (éd. Michalon)
Le Terrorisme est-il un phénomène nouveau ?
On a tendance parfois à penser que le terrorisme est un phénomène nouveau : ne lit-on pas aujourd’hui qu’il constitue la plus grande menace du 21e siècle ? Bien entendu, cette idée pourtant répandue est fausse. L’usage de la terreur, par les régimes en place ou par des groupes cherchant à s’emparer du pouvoir ou à déstabiliser un adversaire est presque aussi vieille que les luttes de pouvoir. Parmi les exemples les plus anciens, citons celui des icarii (ou Zélotes) au 1er siècle qui utilisent la technique du terrorisme pour tenter de repousser l’envahisseur romain. Plus célèbre, le cas de la secte des Assassins (ou Hashshashin) au Moyen Age, démontre le potentiel de longévité d’un groupe terroriste qui, pourtant, n’a jamais réussi à s’octroyer le pouvoir politique recherché malgré plusieurs attentats retentissants. Le terrorisme moderne, né au 19e siècle, s’est manifesté sous une multiplicité de formes, avec plusieurs vagues d’attentats au moins aussi sérieuses que celle que nous connaissons aujourd’hui, et qu’illustre la liste impressionnante des chefs d’États et têtes couronnées victimes d’attentats terroristes au tournant du 19e-20e siècle. Rappelons que c’est par un attentat terroriste, celui de Sarajevo en 1914, que s’est embrasée l’Europe. Il suffit de lire l’Agent secret de Joseph Conrad pour s’apercevoir à quel point le terrorisme d’il y a cent ans fonctionne selon les mêmes mécanismes que le terrorisme contemporain
Existe-t-il une définition du terrorisme ?
Dans la mesure où le terrorisme est un phénomène à la fois complexe et multiforme, il est extrêmement compliqué de trouver une définition simple qui décrive bien la problématique. A en croire certains spécialistes, on aurait répertorié plus d’une centaine de définitions. L’ONU est à l’heure actuelle incapable de s’accorder à une définition. Le groupe de « sages » qui s’est réuni récemment sous l’égide des Nations Unies (Novembre 2004) a opté pour une définition mettant l’accent sur les civils comme cible privilégiée de groupes ayant pour but de « d’intimider une population, ou d’obliger un gouvernement ou une organisation internationale à agir, ou à ne pas agir. »
La dichotomie civils/militaire est importante mais elle n’est pas à mon avis fondamentale. J’aurais plutôt tendance à insister, comme Raymond Aron et d’autres, sur l’aspect psychologique de la technique terroriste. Car ce qui caractérise le phénomène terroriste est avant tout l’asymétrie presque totale entre les effets psychologiques recherchés et les moyens physiques employés. Le fait que les civils soient aujourd’hui les cibles presque exclusives des terroristes n’est que l’effet de cette asymétrie. Les terroristes ne pouvant s’attaquer aux forces armées, faute de moyens (sauf dans le cadre particulier d’une insurrection comprenant la guérilla), ils sont obligés de s’attaquer à d’autres cibles, y compris, logiquement, les civils.
Par ailleurs, le but des terroristes étant généralement de déstabiliser un pouvoir politique, ils jouent avec une opinion publique particulièrement sensible aux problèmes d’insécurité. Ajoutons aussi que dans le cadre de l’évolution de la démocratie qu’a connu le monde au cours des deux derniers siècles, le citoyen est une figure aussi représentative de l’État que ne l’est le gouvernant, et plus vulnérable aussi, ce qui explique pourquoi les gouvernants ont laissé place aux civils anonymes comme cible privilégiée des terroristes. Pour résumer, je proposerai moi-même cette définition (imparfaite comme toutes les autres) : un acte terroriste est un acte politique dont le but est de déstabiliser un gouvernement ou un appareil politique, où les effets psychologiques recherchés sont inversement proportionnels aux moyens physiques employés et dont la cible principale, mais non exclusive, est la population civile.
Existe-t-il une différence fondamentale entre le terrorisme « politique » et le terrorisme « religieux » ?
Depuis 1979 et la révolution iranienne est apparu le phénomène du terrorisme islamiste qui a supplanté le terrorisme d’inspiration marxiste-léniniste des années 1960 –1970. Dans l’histoire, si l’on exclut le cas de la secte des Assassins, le terrorisme est principalement un terrorisme « non-religieux » ou si l’on préfère, laïc.
Il apparaît que les terrorismes ont une chose en commun dans l’histoire : le projet politique, réaliste ou pas, qui anime pratiquement tous les groupes employant la technique terroriste, y compris les anarchistes. Seule exception à la règle, peut-être, les nihilistes russes de la fin du 19e siècle, immortalisés par Dostoïevski dans Les Possédés, à travers la figure de Sergeï Netchaïev, mais dont l’impact fut quasiment nul, et qu’on a tendance à confondre avec les populistes et anarchistes russes de la même époque, qui eux commirent beaucoup d’attentats. Or, dans pratiquement tous les cas de figure, se greffe à ce projet politique une idéologie qui peut prendre plusieurs formes : marxiste, anarchiste, fasciste, nationaliste, et fondamentaliste religieuse. Le terrorisme islamisme appartient à cette dernière catégorie, comme d’autres formes de terrorisme fondamentaliste.
La dimension religieuse du terrorisme, s’il elle est importante n’est pas, à mon sens essentielle. Elle est importante car la religion offre une base plus large que l’idéologie séculaire ainsi qu’une plus grande source de légitimité. En ce sens, le terrorisme d’inspiration religieuse se rapproche plutôt du terrorisme d’inspiration nationaliste : forte identification à un groupe ; désir profond de changer le statu quo politique ; souvent aussi, de revenir à un âge d’or passé (communauté des croyants, État indépendant) plutôt que d’accéder – plus rapidement – à une nouvelle étape de l’histoire.
Pourquoi le terroriste de l’un est-il le combattant (de la liberté, de Dieu, etc…) de l’autre ?
Aucun groupe ou individu ne s’affiche comme étant « terroriste ». Le terrorisme étant avant tout une technique, le « terroriste » est tout simplement celui qui emploie cette technique à des fins diverses qui peuvent paraître légitimes pour les uns, immorales et abominables pour les autres. Le terrorisme se situant dans la sphère de la guerre psychologique, c’est donc sur ce théâtre que se joue la partie, où les renvois d’images comptent pour une bonne part de la réussite. Le « terroriste » cherche généralement à affaiblir l’État qu’il combat en projetant une image négative de son adversaire (faible, illégitime, corrompu, etc…).
L’État tente de son côté de renvoyer une image négative de son adversaire afin d’éviter qu’il ne génère un soutien populaire : le « terroriste » est immoral, irrationnel, barbare, stupide, fanatique, etc…. Or, dans les esprits, le terme « terroriste » est le symbole de cette image négative, que les Etats engagés dans la lutte terroriste ne vont cesser d’amplifier, souvent à l’aide des médias, ces derniers faisant partie intégrale de ce jeux à trois. Rappelons qu’au moment même où Lénine lançait les premières campagnes de terreur de l’URSS – Staline ne fit que suivre le chemin tracé par son illustre prédécesseur -, il s’en prenait d’abord à ceux qu’il qualifiait de « terroristes » (anarchistes, etc.. ) . Nous touchons ici à la dimension morale du terrorisme (que capte remarquablement la pièce d’Albert Camus, Les Justes, basée sur un incident réel). Si l’on s’en tient à une éthique de type kantien, l’emploi du terrorisme est par définition immorale, et rien ne peut la justifier. En revanche, une éthique fondée sur les conséquences de l’acte offre un champ beaucoup plus ouvert : ainsi le terrorisme pratiqué dans le contexte des luttes anti-coloniales apparaît-il aujourd’hui, pour certains du moins, comme foncièrement moral, ou tout au moins comme non immoral.
Dans le cadre d’un conflit asymétrique du faible au fort, l’emploi de la terreur peut éventuellement se justifier. Néanmoins, la présence de vastes zones grises fait qu’il est parfois très compliqué de donner la mesure exacte de l’acte. Pour exemple : est-il légitime que le Hamas ait recours au terrorisme ? Ou encore, Israël est-il un État terroriste ? De toutes manières, il est évident que la plupart des terroristes se perçoivent comme des justes agissant pour une cause supérieure où la fin justifie les moyens. S’il est difficile de trancher sur le vif, il semble toutefois que l’Histoire parvienne à faire la part des choses, tout au moins à légitimer certains actes terroristes (cas de l’Irlande autour des années 1920 ; de l’Inde, du Kenya, de l’Algérie et d’autres durant la décolonisation). Enfin, le terme « terroriste », aussi imparfait soit-il, est plus facile à utiliser que, par exemple, « groupe utilisant l’arme du terrorisme », ce qui explique aussi pourquoi ce terme ambigu est employé dans le langage courant, y compris par l’auteur de ces lignes.
Le terrorisme de destruction massive présente-t-il un réel danger aujourd’hui ?
La fin de la guerre froide a vu disparaître la menace d’un cataclysme nucléaire qui pesait sur le monde tel l’épée de Damoclès. A cette menace se sont substitués deux dangers susceptibles de bousculer le monde relativement sûr des grandes zones industrialisées : la prolifération nucléaire (et des armes de destruction massive) et le terrorisme. Il était logique que ces deux menaces fassent l’objet d’un regroupement représentant la menace ultime contre la paix dans le monde : le terrorisme de destruction massive. Pour des raisons principalement politiques, provoquées en partie par les attentats du 11 septembre 2001 et par l’arrivée au pouvoir la même année des « néo-conservateurs », cette menace constitue désormais le cheval de bataille de l’administration Bush, dont l’écho a été véhiculé dans le monde par divers modes de communication, y compris le cinéma et la littérature.
Qu’en est-il de ce danger? Que des groupes terroristes utilisent des ADM [Armes de Destruction Massive], cela ne fait aucun doute puisque ce scénario s’est déjà produit au Japon il y a une dizaine d’années. Pour autant, plus une arme a un potentiel destructeur plus elle est difficile à acheter, à obtenir, et surtout à manipuler. Or, les groupes terroristes, à moins qu’ils ne soient appuyés par des États, n’ont pas les ressources ou les moyens nécessaires pour se lancer dans des aventures extrêmement périlleuses susceptibles de compliquer une existence déjà fort compliquée. Surtout, les moyens classiques sont amplement suffisants pour les objectifs que les terroristes cherchent à atteindre ; On voit d’ailleurs avec le cas du 11 septembre que des ADM ne sont pas indispensables pour provoquer des destructions massives. Mais comme le terrorisme est un jeu d’échecs psychologique, le simple fait qu’un groupe clandestin parvienne à faire croire qu’il possède des ADM représente une victoire politique, ne serait-ce que parce que les États engagés dans la lutte anti-terroriste dépensent une grande partie de leurs ressources dans la prévention d’une attaque d’ADM. Dans le même ordre d’idées, plus un pays est préparé à faire face à une telle attaque, et moins un attentat terroriste aux ADM aurait d’impact sur la psyché collective.
En somme, le terrorisme de destruction massive est à la fois une réalité toute proche mais qui risque de rester dans le domaine du virtuel pendant encore un moment. Notons que dans l’histoire du terrorisme, les techniques ont très peu évolué depuis l’invention de la dynamite en 1867, pour la bonne raison que la force du terrorisme n’est pas de frapper fort mais en un point sensible où cela fait le plus mal – et en général où on s’y attend le moins – donc où il n’est pas nécessaire de posséder l’arme la plus sophistiquée. Gageons que l’imagination des terroristes se traduira plutôt par des choix de cibles nouveaux et surprenants plutôt que par le désir d’acquérir des armes de destruction massive.
Table des matières
Patrice SAWICKI, terrorismes, guerres et médias
Arnaud BLIN, définitions, questions et réponses sur les formes de terrorisme
Serge SUR, un mal qui répand la terreur
Julien FRAGNON, Médias et Politique face au terrorisme : la nécessité
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