CONSTITUTION EUROPEENNE

Mandat P1

Établissement d’une constitution EU

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Introduction

La civilisation humaine connaît des mutations profondes et les sociétés de notre temps doivent parcourir des chemins qui n’ont jamais été explorés au cours de l’histoire. Afin de se doter des moyens de gouverner avec sagesse et efficacité nous devons connaître et comprendre ce que sont les caractéristiques essentielles de cette nouvelle civilisation scientifique qui nous est aujourd’hui dévolue et sur laquelle reposent désormais nos destinées ; nous devons savoir pourquoi et comment elle nous ouvre des perspectives illimitées, et pourquoi elle nous confronte à des défis inhabituels, comme celui d’altérer nos chances mêmes de survivre sur cette planète.


La loi fondamentale que doivent se choisir les peuples européens doit être aussi simple et courte que possible. Elle doit être une règle du jeu démocratique donnant toutes les garanties que les citoyens exercent effectivement leur souveraineté en Europe. Mais la loi fondamentale ne doit en aucun cas se présenter comme un catalogue d’intentions politiques, aussi bonnes qu’elles puissent paraître à ses rédacteurs, car elle aurait pour effet de fermer le débat public et de restreindre la liberté des citoyens d’Europe à choisir leur destin. Elle ne doit pas dresser un catalogue d’intentions et de projets politiques, pas plus qu’elle ne peut décrire un programme de gouvernement, elle est nécessairement au-dessus des partis et des intérêts particuliers, puisqu’elle doit déterminer les conditions de leurs affrontements pacifiques.

Par conséquent, la loi fondamentale, ne peut être ni libérale, ni sociale, elle doit laisser toutes les options ouvertes aux débats d’idées, à défaut de quoi, elle ne serait plus vraiment une loi fondamentale.


Principe axial


Le principe axial de toute gouvernance dans la civilisation scientifique

Le passage de la civilisation agraire à la civilisation scientifique – le monde moderne – impose une modification radicale des mentalités que l’on peut illustrer de la manière suivante : la civilisation agraire reposait tout entière sur l’adaptation de l’homme à un milieu particulier, à une localisation précise. Dans ce milieu, il devait opérer une sorte de fusion avec la nature, il devait vivre en communion avec elle, la comprendre, l’apprivoiser progressivement, prévoir le climat, envisager les dangers possibles, anticiper le rythme des saisons. A l’origine, la politique ne se justifiait que par la nécessité d’organiser les moyens de la production agricole et de protéger l’activité de la communauté agraire contre les convoitises extérieures. La création d’entités politiques de plus en plus vastes s’avéra nécessaire à cette dernière fonction.

Dans la civilisation scientifique, et c’est là le point essentiel, l’origine de la richesse ne réside plus dans la nature objective, elle réside dans la nature humaine. L’homme est à la source de la découverte scientifique, il est le créateur des techniques qu’il met à la disposition de ses propres desseins, ses rêves alimentent la quête d’horizons nouveaux, il crée dans ce but des entreprises industrielles ou commerciales, des laboratoires, des centres spatiaux. Dans cette nouvelle civilisation, l’origine de la richesse n’est plus un privilège, elle ne résulte plus d’une appropriation unilatérale de biens objectifs, mais de l’imagination, de l’intelligence et du travail des hommes.

Pour cette seule raison, la politique, telle qu’elle fut traditionnellement conçue, non seulement n’est plus envisageable, mais elle n’a plus de sens. Elle devait organiser et défendre des privilèges, elle doit désormais favoriser la créativité des personnes, l’esprit de recherche et le goût d’entreprendre. Et, puisque l’accroissement de la richesse résulte tout entier de l’intelligence, de l’inventivité et de l’habileté des hommes, la volonté de puissance ne peut plus trouver satisfaction dans la guerre et la conquête : nul ne peut s’approprier les rêves des hommes. Une entreprise scientifique, industrielle ou commerciale, est vidée de sa substance dès qu’elle n’est plus incluse dans un dense système de partenariats scientifiques, techniques et financiers, et d’échanges commerciaux à l’échelle planétaire, animé par une exigence de réciprocité.

C’est bien la preuve qu’ont administrée les régimes communistes : ils saisirent les « moyens de production », sans imaginer qu’ils les isolaient ainsi de la source de leur création, c’est-à-dire l’homme libre en relation avec des égaux, et ils les condamnèrent. Certes, les industries soviétiques ont continué à produire cahin-caha, mais lors de l’effondrement du rideau de fer, la Russie n’était rien de plus qu’un pays sous-développé.

L’apparition de la civilisation scientifique répond ainsi à une spiritualisation du travail et de l’action; son mode de production des richesses n’implique aucune adhésion à un milieu naturel ou à une tradition, mais exige bien plutôt un retour de l’individu sur lui-même dans un effort constant d’invention, d’innovation, de production et de vente dans les meilleures conditions possibles. Une telle spiritualisation de l’action n’est pas principalement menacée par des convoitises extérieures, mais par la violence de ceux qui se refusent à accomplir cet effort sur eux-mêmes ou qui en sont incapables : l’Etat n’y est donc plus nécessaire au sens où on l’entendait autrefois. Désormais le principe axial sur lequel il doit impérativement se construire est l’encouragement du libre exercice de l’intelligence humaine, contre tous les aspects de la violence humaine, y compris ceux qu’à traditionnellement généré l’Etat.

Cette spiritualisation nécessite le respect de la liberté et la tolérance, qui permettent à l’intelligence de s’échapper des routines et des sentiers battus pour ouvrir sans cesse de nouveaux horizons. Elle s’enracine directement dans la maîtrise de soi et, si l’on veut qu’elle poursuive indéfiniment ses effets, elle doit s’inspirer de l’éthique sans jamais se figer dans des attitudes et des certitudes non révisables.


Sauver le rêve européen

Après le naufrage du projet de Constitution européenne, la France tente de relancer la réforme des institutions en promouvant l’idée d’un mini Traité. C’est certainement la bonne voie. Mais pour que cette entreprise ait un sens, nous devons comprendre pourquoi les peuples ne se sentent pas concernés par l’avenir de l’Union. A défaut, elle sera affectée de ce même déficit démocratique qui a sans cesse, pour son plus grand mal, caractérisé l’Europe.

Jusqu’à ce jour, la communauté européenne s’est développée et a été gouvernée en dehors des peuples, parfois contre eux. Nul doute que cette façon de faire a été le principal écueil à l’émergence d’une forte et réelle identité européenne. Un tel projet doit être porté par le Peuple et non pas subi par lui.

Cette remise en question est une chance unique de comprendre à quels impératifs fondamentaux nous sommes soumis, à quels choix nous sommes confrontés et vers quels objectifs nous devons tendre, à défaut nous manquerons le rendez-vous de l’histoire et le rêve européen restera qu’un mirage alors qu’il peut encore devenir une réalité enthousiasmante.

Nous devons intégrer dans notre réflexion sur l’Union le fait que nous soyons en pleine mutation civilisationnelle. En 150 ans nous sommes passés d’une civilisation agraire à une civilisation d’une nature complètement nouvelle, la civilisation scientifique.

Le nouveau projet de Traité ne doit pas, comme le précédent, continuer d’envisager la politique comme si nous étions toujours dans cette civilisation agraire aujourd’hui en voie de disparition. Une étude attentive des différences entre les caractéristiques intrinsèques de ces deux types de civilisation conduit inévitablement à conclure que la politique ne peut plus reposer sur les mêmes principes et ne peut plus poursuivre les mêmes objectifs qu’autrefois.

Les différences sont telles, entre les deux types de civilisation, que la façon de gouverner les peuples doit être entièrement repensée.

La civilisation scientifique nécessite le libre déploiement de l’intelligence humaine donc la liberté. Le principe axial sur lequel doivent reposer toutes les institutions politiques est le respect absolu de l’autonomie des personnes et de leur sphère privée.

La capacité individuelle de choisir son propre destin aux conditions de l’éthique, n’est pas un luxe de pays riches, ni une aberration de la culture occidentale, comme cherchent à le faire croire les néo-confucéens et les islamistes. C’est une nécessité absolue inhérente à cette nouvelle civilisation scientifique. Certains objecteront que la Chine se développe rapidement hors des caractéristiques d’une démocratie. La réponse à cette objection est la suivante : la Chine ne fait que rattraper un retard considérable dû à un système archaïque de gouvernement centralisé. En vérité la Chine actuelle n’invente rien, ne crée rien, elle ne participe en aucune façon au déploiement de la civilisation scientifique.

Il est certain que la gestion de l’Union au moyen d’institutions non démocratiques a contribué à l’affaiblissement de l’Europe : celle-ci n’est plus un moteur pour la civilisation scientifique, alors qu’elle recèle tous les atouts pour l’être. Afin qu’elle puisse redevenir un exemple dans le monde et qu’elle soit de nouveau capable de participer à la grande aventure de cette civilisation, elle doit se doter d’institutions qui reconnaissent sans la moindre ambiguïté la souveraineté des peuples et l’absolue liberté des individus.


Dix propositions

Ces institutions doivent reposer sur les dix principes essentiels :

  1. En démocratie, le peuple est souverain. Les chefs d’État, qu’ils soient rois ou élus, qu’ils règnent sans gouverner ou qu’ils gouvernent tout en régnant, sont l’incarnation de l’unité de l’ensemble politique auquel ils appartiennent. Ils représentent toutes les raisons positives que nous avons de vivre ensemble, y compris celles que nous oublions dans nos engagements et dans nos excès. Un chef d’État européen, si un jour les peuples européens décident de s’en choisir un, devra être l’incarnation de toutes les raisons que nous avons de vouloir vivre ensemble, sans égard à l’étendue de ses pouvoirs.


  2. Gouverner l’Europe, c’est à la fois être le dépositaire de ce principe d’unité et c’est répondre devant les peuples de l’Union, dont les aspirations sont toujours supérieures aux ambitions particulières.


  3. Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire de l’Union émanent des peuples et sont élus par eux.


  4. Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être absolument séparés. Elus par les peuples de ’Union, ils sont responsables devant eux.


  5. Afin que la volonté de tous soit respectée, le pouvoir législatif de l’Union doit reposer sur un système bicaméral, l’une des chambres représentant les peuples sur une base démographique, l’autre donnant à chaque Etat membre de l’Union un nombre identique de sièges afin que les petites nations ne soient pas systématiquement défavorisées. La double majorité doit toujours être obtenue pour qu’un texte de loi puisse être adopté.


  6. Le référendum et le référendum d’initiative populaire doivent être les moyens habituels de la gestion des affaires de l’Union. Dans le prolongement du droit d’initiative, les peuples doivent pouvoir destituer le gouvernement de l’Union.


  7. Au sein de l’Union, la liberté ne peut pas être un catalogue de droits que l’on distribue avec générosité ou parcimonie selon les cas, elle est absolue, imprescriptible et indivisible pour autant que son usage soit conforme aux règles de l’éthique, et si elle doit être restreinte en certaines occasions, ce ne peut être que pour un temps limité et non renouvelable et jamais sans l’accord des peuples de l’Union.


  8. C’est aux peuples de choisir l’étendu des pouvoirs et prérogatives du gouvernement de l’Union. C’est aux peuples de dire s’ils veulent, par exemple, une défense commune ou une diplomatie commune.


  9. La loi fondamentale doit être une règle garantissant que la justice et le processus de la décision politique restent constamment soumises à la décision et au contrôle de la volonté populaire.


 10. Enfin, la loi fondamentale doit être acceptée par référendum, le même jour, par l’ensemble du peuple européen, quitte à prévoir des arrangements spéciaux pour les nations qui n’auraient pas rassemblé chez elles une majorité de voix en faveur de ce projet.


Redéfinir la liberté


On ne saurait définir la liberté d’une manière qui exclurait nécessairement tel ou tel composant de la nature humaine. Une définition qui serait complète devrait donc être capable d’englober l’ensemble de la nature humaine, mais elle devrait simultanément rejeter ce qui, dans les actions et les choix humains, limiterait nécessairement les potentialités de cette nature. C’est le cas de deux attitudes opposées.

a. Le recours à la violence, qui oblige de consacrer sa vie aux seuls instincts d’agression et de défense, qui ne voit de justice que dans la vendetta et qui ne se soumet à aucun système de droit objectif.

Les Balkans nous donnent aujourd’hui encore l’image d’une région déchirée par les haines ethniques, dans laquelle les rapports de force et la vengeance conditionnent les relations sociales. Ils ne peuvent s’accorder à la démocratie.

b. Le laxisme dans la conduite de sa vie, qui ne permet la structuration d’aucun comportement créateur.

La liberté ne peut s’épanouir que dans l’acceptation de limites aux comportements individuels. Elle ne s’accorde pas aux doctrines post-soixante-huitardes qui prétendent qu’une personnalité libre se forme dans le respect fétichiste des pulsions de l’enfant.

Par conséquent, la liberté se définit comme l’acceptation pleine et entière de la nature humaine à l’exclusion de ce qui, dans l’expression désordonnée de cette nature, a pour effet d’en limiter les potentialités. Elle émerge d’une tension entre une générosité qui embrasse toutes les contradictions de la nature humaine, et l’intuition de l’universel qui rassemble tous les êtres autour d’un même drame, celui d’une vie limitée dans le temps, en proie aux deuils et au malheur.
La liberté est un idéal par définition universel

Toutes sortes d’idéaux peuvent se prétendre « universels » sans l’être pour autant. C’est le cas de l’idéal de souveraineté qui fut celui des nations européennes au XIXe siècle et qui est encore celui de la France aujourd’hui, de l’idéal de confraternité, qui est celui de l’islam, de l’idéal de salut et de sainteté qui fut celui de l’Occident chrétien, de celui de pureté et de perfection qui est celui du Japon, de celui d’ordre qui est celui du monde confucéen, etc. Ces idéaux n’acceptent pas l’infinie diversité de la nature humaine, et s’ils reconnaissent l’existence d’un drame universel, ils lui assignent une solution unique. Ils assimilent le bien aux valeurs, aux comportements, aux actions qui les favorisent, le mal à ce qui les contrarie. Pour cette raison, ce qui est reconnu comme un bien dans le prolongement de tel idéal sera certainement ressenti comme un mal dans le prolongement de tel autre.

Pour tous ces idéaux qui se prétendent universels sans pour autant répondre aux critères de l’universalité et qui cherchent à imposer une solution unique au drame universel, la liberté est le mal. Puisque ces idéaux refusent les infinies possibilités de la nature humaine, ils ne s’accordent pas avec les exigences de la démocratie. C’est pourquoi le régime des libertés a été combattu depuis le début par tous les autres systèmes de valeurs. Pourtant il leur est supérieur, car il admet toutes les expressions de la nature humaine, pourvu que, dans l’activité, dans la réflexion ou dans la prière, une voie particulière vers l’unité ne s’impose pas comme l’unique chemin du destin individuel : chacun peut vivre dans la perspective du salut, de l’ordre, de la perfection ou de la confraternité, pourvu que ce soit dans le respect de tous les autres choix, et dans le dialogue.

La liberté ne va pas sans un idéal de plénitude qui embrasse l’individu et la société dans un rapport tel que les exigences réciproques de l’un et de l’autre exaltent les potentialités de la nature humaine et n’ont pas pour effet de les limiter. Par conséquent, la liberté n’a de signification réelle que dans le rapport individu–société. Rapport paradoxal (puisque l’individu ne saurait exister sans la société, ni la société sans l’individu), par lequel l’universel humain peut parvenir à l’existence ou au contraire se pervertir et disparaître. Deux situations extrêmes peuvent mettre un terme à l’idéal de liberté : l’exaltation de l’individu au détriment de la société, ce qui conduit à l’anarchie, et l’exaltation inverse de la société au détriment de l’individu, ce qui fonde la tyrannie.

Qu’une instance sociale exige de chacun acquiescement et obéissance au nom d’un idéal prétendument universel, et le principe de la société se trouve exalté au détriment de l’individu. Qu’un individu se laisse dominer par ses pulsions, son avidité, sa rapacité ou sa violence, dans lesquelles il voit un absolu et tente de soumettre le monde à ses excès, et le principe de l’individu se trouve exalté au détriment de la société.

Dans la perspective de l’idéal de la liberté, la certitude que nous partageons notre passion de vivre avec tous les êtres, ne doit pas devenir le prétexte d’une uniformisation des destinées.

La liberté a ceci de supérieur à tout autre idéal : elle ne dresse pas l’homme contre lui-même, l’humanité contre elle-même.

Positivement, elle nous accorde la possibilité de choisir notre destin, de vivre nos rêves comme nous l’entendons, de proclamer nos idées et nos convictions sans que quiconque puisse s’en offusquer. Elle nous impose symétriquement de respecter les modes de vie et de pensée qui ne sont pas les nôtres, comme autant d’expression des infinies possibilités de la nature humaine. Elle nous donne des droits en même temps qu’elle nous impose des devoirs, de sorte qu’elle ne va pas sans la responsabilité : nous sommes tenus d’assumer les conséquences de nos choix.

Négativement, la liberté ne nous accorde pas la possibilité de soumettre notre existence à nos pulsions, à nos instincts ou à notre violence naturelle (comme l’affirment tous ceux qui pensent que nous ne sommes rien de plus que des animaux régis par les seules lois de la biologie), elle ne nous permet pas davantage d’abandonner notre libre-arbitre à des dogmes religieux (comme le font les islamistes) ou à des théories sociales (comme le font les marxistes ou les alter mondialistes.) De telles soumissions nient la liberté.

En revanche, la liberté nous convie au respect des faits et des points de vue ; elle nous oblige à la tolérance et au débat d’idées.


La civilisation agraire

(Extrait de l’ouvrage : « La Démocratie européenne)

A la question « D’où provenait l’essentiel des richesses depuis le néolithique jusqu’au XVIIIe siècle ? », la réponse est claire : de la terre.

C’est pourquoi, au cours de cette longue période, le pouvoir et la politique se sont organisés autour de la maîtrise de la terre et des hommes qui la cultivent. Dans les vieilles civilisations agraires, l’origine de la puissance réside donc dans un bien rare dont la qualité, de surcroît, dépend de conditions qui échappent pour l’essentiel à la volonté des hommes. C’est pourquoi la possession de la terre a toujours été un privilège que les hommes se sont arrogé.

Même si les hommes ont souvent affirmé le tenir d’un décret divin, la vérité c’est que l’acte d’appropriation de la terre a toujours découlé d’une prise de possession unilatérale défendue par la force. L’homme met en valeur la terre, la terre produit les richesses, les richesses accroissent la puissance de la société, la puissance aiguise les convoitises et le cycle perpétuel des guerres des civilisations agraires se met en mouvement. Lorsqu’une dispute intervient entre les peuples, les nations ou les princes, le recours à la force est une solution normale, puisque le conflit trouve son origine nécessaire dans la maîtrise de la terre, même si parfois la religion a été le motif des affrontements les plus violents : on veut ce que l’on ne possède pas afin d’accroître sa puissance et limiter celle de ses voisins. Les systèmes de coopération internationale dans ce type de civilisation ont toujours été fragiles, parce qu’ils reposaient sur la défense de privilèges.


La civilisation scientifique

(Extrait de l’ouvrage : « La Démocratie européenne »)

A cette question : « D’où provient l’essentiel des richesses depuis le milieu du XIXe siècle ? » La réponse est claire : des entreprises industrielles et commerciales.

La rupture est si nette avec les périodes précédentes, qu’aujourd’hui, dans la plupart des pays industrialisés, l’agriculture est devenue, au travers de toutes sortes de subventions, consommatrice nette de richesses. Par exemple, en Suisse, la catégorie socio-professionnelle des paysans, qui comprend 190 000 personnes, coûte 8 milliards de francs annuellement à la collectivité. Or, non seulement les entreprises n’ont pratiquement plus aucun lien avec la terre, mais leurs activités, de surcroît, reposent sur des exigences qui réfutent l’enracinement dans des lieux, des habitudes, des traditions; elles se jouent des frontières, elles s’intéressent à tous les hommes, quelles que soient leurs origines, elles guettent toutes les innovations techniques, d’où qu’elles proviennent, elles recherchent constamment de nouveaux produits et de nouveaux débouchés. Par rapport à la terre, les entreprises, à la grande confusion des politiciens qui y voient une trahison, ont la faculté de se déplacer, et l’on parle alors de « délocalisation ». C’est pourquoi l’autorité de l’État, héritier de l’ordre agraire, qui n’a d’autre choix que de s’imposer sur une unité territoriale, c’est sa définition même, se découvre être la proie d’une contradiction mortelle : d’un côté il tire sa puissance de l’entreprise, puisque c’est elle qui désormais produit la richesse, mais de l’autre, il n’a plus qu’une influence limitée sur l’économie et la finance; il veut imposer son autorité, mais il doit se plier aux exigences de l’activité entrepreneuriale. Au total, un État qui a le souci de sa propre puissance et de la prospérité du peuple sur lequel il exerce son autorité doit encourager l’entreprise, même si celle-ci a pour conséquence de diluer ses propres frontières et de nier les fondements nécessairement locaux de son autorité.

Par exemple, des notions telles que la géostratégie ou l’équilibre des forces en politique internationale n’ont de signification que par rapport aux ambitions territoriales; elles ne continuent à être valorisées que dans la perspective d’une politique de puissance classique, mais elles perdent pratiquement tout sens par rapport aux enjeux scientifiques, techniques, commerciaux et financiers de la puissance, telle que celle-ci s’inscrit aujourd’hui dans les faits. L’ultime raison pour laquelle les préoccupations géostratégiques jouent encore aujourd’hui un rôle décisif, c’est le pétrole sans lequel, pour quelques temps encore, la civilisation scientifique s’effondrerait. Les relations du monde arabe avec l’ensemble de l’humanité n’auraient pas ce caractère tragique si le pétrole ne venait pas brouiller les cartes. Une autre source d’énergie serait-elle disponible aujourd’hui, et l’Occident abandonnerait ce vaste ensemble à sa triste destinée, comme il le fait de l’Afrique.

Pour cette raison, l’adhésion des politiciens à la vie des entreprises et aux préoccupations des entrepreneurs est soumise à cette contradiction : l’État héritier de l’ère agraire croit qu’il est de son devoir d’affirmer sa puissance dans le monde et, pour cela, il compte sur les entreprises qui ont pour champ d’activité le monde dans son ensemble. L’État est désormais soumis à des impératifs qui le dépassent puisqu’ils sont universels et qu’ils n’ont de signification qu’à l’échelle mondiale.


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