VISITEUR DE PRISON
VOUS DÉSIREZ DEVENIR « VISITEUR DE PRISON »…
Tout d’abord, bravo de chercher à vous informer ! Bravo aussi de vouloir aider les détenus ! Cela, l’administration ne vous le dira pas… donc… persévérez !
Conditions à remplir:
- être membre actif (MA) de Dialogue & Démocratie Suisse
- être âgé de plus de 21 ans ,
- ne pas avoir été condamné pour des faits contraires à la probité, aux mœurs ou à l’honneur,
- prendre l’engagement de respecter les règlements relatifs au fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Mission du visiteur de prison
Le visiteur de prison apporte bénévolement aide et soutien aux détenus pendant leur incarcération afin de préparer leur réinsertion.
Le visiteur de prison reçoit les détenus dont il s’occupe en dehors de la présence d’un surveillant, dans un local aménagé à l’intérieur de la prison. Les visites ont lieu aux jours et heures fixés par le chef d’établissement en accord avec le visiteur.
Le visiteur de prison peut correspondre, y compris en langue étrangère, avec les détenus dont il s’occupe sous pli couvert et sans autorisation préalable.
Il peut demander à suivre le détenu hospitalisé, continuer à rencontrer un détenu transféré ailleurs.
Le visiteur de prison travaille en coopération avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui a pour tâche de coordonner leurs actions.
Le visiteur de prison peut établir des relations avec les différents personnels de l’établissement pénitentiaire (enseignants, aumônier, surveillants, psychologues).
Statut du visiteur de prison
Le visiteur de prison est soumis à un devoir de réserve.
Vous aurez des entretiens avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le directeur de l’établissement et le juge de l’application des peines.
Agrément
Ces entretiens ont pour objet de vous permettre de comprendre le rôle des visiteurs de prison et d’apprécier votre aptitude à le remplir (sens des relations humaines, équilibre psychologique, altruisme, disponibilité).
Le directeur de l’établissement transmet avec son avis, les différents rapports au directeur régional des services pénitentiaires.
Pour toute information, adressez-vous à: info@deds.ch en précisant Visiteur de prison
Interview de Christian-Nils ROBERT
Interview réalisée par Catherine Baker pour l’émission « Au cœur de la prison, le châtiment » sur France Culture
5ème émission : les abolitionnistes (02/08/2002)
Christian-Nils Robert, vous êtes professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Genève. On soupçonne les abolitionnistes d’angélisme, mais n’est-ce pas plutôt de l’autre côté qu’est l’angélisme quand on imagine que la prison peut permettre à la société de se protéger de la délinquance ?
Je crois qu’effectivement on ne se méfie pas assez de la prison, et que l’angélisme est plutôt du côté de ceux qui pensent que la prison peut remédier à des turbulences, à des perturbations individuelles ou collectives passagères dans une société, alors qu’elle ne peut qu’aggraver une situation individuelle. Penser rétablir une normalité comportementale dans un environnement anormal, me paraît être une aberration. Or le milieu pénitentiaire est un milieu anormal, qui n’est pas notre milieu de vie, ni à vous ni à moi, ni à personne sauf aux surveillants et aux détenus. Et c’est un milieu qui est tout à fait pathologique.
En Afrique du Sud dans les dernières années de l’apartheid, des tortures inouïes ont été pratiquées par ses partisans mais aussi par les autres, et la commission « Vérité et réconciliation » mise en place par Desmond Tutu a opéré une véritable révolution dans le système judiciaire habituel: à condition d’avouer publiquement son crime, le coupable était assuré de n’être pas condamné et de repartir libre. Cependant, cet aveu public pose peut-être un problème. Foucault y voyait une reddition de l’intériorité. D’autre part, l’aveu est-il fiable lorsqu’il est la condition sine qua non de l’absence des poursuites ?
L’expérience de l’Afrique du Sud et des commissions « Vérité et réconciliation » est tout à fait intéressante, et cette expérience est suivie de près par de nombreuses personnes intéressées par les conflits qui ont éclaté dans le monde. Je pense également au problème du Rwanda, ou au problème des Balkans. Je crois qu’actuellement, nous faisons fausse route en appliquant le système judiciaire à des problèmes qui doivent trouver d’autres solutions. Au fond, le droit international pénal s’applique maintenant, par exemple, au génocide rwandais, aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui ont été commis dans l’ex-Yougoslavie. Je trouve que c’est extrêmement imprudent d’avoir appliqué aux relations internationales ou intra-nationales une solution dont on sait qu’elle a échoué dans les systèmes nationaux judiciaires. Donc je suis très ouvert, par exemple, au processus « Vérité et réconciliation ». En ce qui concerne le Rwanda, peut-être savez-vous que devant l’impossibilité de traiter judiciairement les dizaines de milliers de personnes encore en prison, le Rwanda a décidé, par une loi de 2000, de remettre à l’ordre du jour des processus traditionnels de règlement des conflits qui s’appellent la gakaka (?), qui est une justice représentative et un modèle traditionnel totalement différent de notre système judiciaire que nous imposons, notamment, à Arusha (?), par des moyens qui me semblent post-coloniaux. Cela étant, le problème que vous posez, qui est celui de l’aveu, me semble être une question difficile. Il faut savoir que l’aveu s’inscrit dans une problématique qui est celle de notre système judiciaire, alors que « Vérité et réconciliation » se situe dans une tradition d’apaisement, de réconciliation sociale et collective qui n’est pas, de loin, l’objectif traditionnel du système de justice pénale, qui est un système guerrier.
Mais est-ce qu’on pourrait élargir ce système de règlement des conflits à des cas individuels, lors d’un crime ?
Je pense que c’est tout à fait possible et envisageable, et les personnes qui précisément adoptent des postulats abolitionnistes, sont aussi des personnes qui poussent la réflexion jusqu’à proposer des systèmes, non pas nouveaux, mais repris de systèmes traditionnels pour la résolution de conflits, comme par exemple la médiation. Et la médiation, c’est un peu le fond de « Vérité et réconciliation ». La médiation, c’est la gestion d’un conflit, mais une gestion tolérable, acceptable, mesurée, qui a des limites, d’un conflit qui peut subsister entre un auteur et une victime. Car il est tout à fait illusoire de penser qu’une société vit sans conflits. Nous vivons tout le temps avec des conflits, et nous avons certaines capacités de gérer ces conflits, qu’il faut essayer de retrouver en dehors du système de justice pénale.
Par ailleurs, est-ce que l’esprit de vengeance n’est pas quelque chose d’inhérent à l’esprit humain ?
D’abord, l’esprit de vengeance est la première motivation de la justice pénale. Il ne faut pas imaginer que la justice pénale est angélique dans ses fondements et je crois que la vengeance reste la première finalité de la peine. Bien sûr, les traités de droit pénal ne l’évoquent que succinctement, mais les plus réalistes de ceux qui ont étudié les finalités de la peine citent d’abord la vengeance. Elle reste un des premiers fondements de la peine.
Mais est-ce que cette idée n’est pas profondément ancrée dans l’esprit, que si l’on frustre les gens d’un procès, cette vengeance peut se manifester à ce moment-là sous forme de vendetta, par exemple ?
Je vous dirai que les victimes sont encore plus frustrées par les procès qu’elles subissent. J’en ai eu la preuve récemment par le procès Alègre pour lequel la condamnation la plus grave a été prononcée, et où les victimes se sont trouvées complètement frustrées par cette solution qui était la pire, c’est-à-dire la perpétuité avec une peine incompressible.
Notre société produit de plus en plus de richesses, donc de plus en plus de pauvreté, donc de plus en plus de délinquance, de violence. Partout se durcit la répression. Aux Etats-Unis, par exemple, pour un vol, à la deuxième récidive, c’est-à-dire à la troisième condamnation c’est la perpétuité. Dans ce contexte de durcissement des lois et d’endurcissement des esprits, comment espérer la fin de la prison ?
D’abord, il faudrait peut-être distinguer deux affirmations : de plus en plus de délinquance, et durcissement de la répression.
De plus en plus de délinquance, peut-être. Vous savez qu’on ne saura jamais exactement ce qu’il en est de la réalité de la délinquance – heureusement – puisque nous ne pouvons avoir que des statistiques sur ce que traitent les institutions chargées de la délinquance, et non sur la délinquance directement. Toutes les méthodes qu’on a utilisées jusqu’à présent pour améliorer les statistiques de la criminalité n’ont fait que donner des vues différentes, plus nuancées, un peu plus fines, moins imprécises de la délinquance. On en est toujours à des estimations et on sait qu’il existe une délinquance cachée, un chiffre noir qui est extrêmement important. On pense même que seuls 10% des événements délictueux sont poursuivis à l’heure actuelle dans notre société occidentale. Donc, dire que la délinquance augmente, je dirais d’abord que le traitement de la délinquance, ou la demande de traitement de la délinquance augmente en quantité et qu’effectivement les chiffres nous dévoilent une croissance de certaines formes de délinquance. Singulièrement la délinquance de violence contre les personnes, alors que d’autres formes de délinquance sont, soit stabilisées, soit en régression. Il faut bien avoir à l’esprit qu’on a beaucoup développé des méthodes de prévention techniques qui sont amplement plus efficaces que les méthodes de répression de justice. Par exemple, s’il y a une réduction des atteintes patrimoniales, c’est par le développement de techniques de protection des objets mobiliers, comme la voiture, la résidence secondaire, le domicile qui font l’objet de surveillances techniques accrues de nature à dissuader et qui ont dissuadé ce type de délinquance. En revanche, l’exposition dans l’espace public de personnes ou de biens sans protection ou avec une protection réduite, a provoqué une concentration de délinquance sur ce type de cible. C’est une première observation.
Venons-en maintenant au durcissement de la répression. Depuis une vingtaine d’années, effectivement, on observe un allongement des peines de prison. Les peines prononcées sont de plus en plus longues, aussi bien en France qu’en Suisse ou dans d’autres pays européens. Mais il n’y a pas seulement un durcissement quantitatif, il y a également un durcissement qualitatif que l’on observe, singulièrement, et de façon quasi isolée, aux Etats-Unis. Heureusement, l’Atlantique nous protège un peu de ce type de dérive, et si l’Angleterre est un peu touchée, elle ne l’est quand même pas de façon si cruelle et radicale que les Etats-Unis. Les Etats-Unis sont vraiment le pire exemple que l’on ait actuellement au monde, avec des taux de détention de près de 800 détenus pour 100 000 habitants (alors que nous avons en moyenne des taux de 70 à 80 détenus pour 100 000 habitants), donc 10 fois plus élevé qu’en Europe. Donc je crois que l’Europe résiste. Dans ce contexte, évidemment, se pose le problème de l’espérance de la fin de la prison, dont je dirais qu’elle est née avec la naissance de la prison. Ce n’est pas une espérance nouvelle, et Foucault l’avait déjà dit : la critique de la prison est née avec la prison. […]
Vous êtes de ceux qui pensent qu’on peut décriminaliser. On le comprend bien en matière de toxicomanie, mais peut-on concevoir qu’un assassinat, un viol puissent ne plus être des crimes ?
Quand je parle de décriminaliser, au fond j’utilise un mot qui a été vulgarisé par le Conseil de l’Europe dans les années 70, après les mouvements dits de libération de la fin des années 60, mais je crois qu’il faut être plus précis. Je commencerais par dire, et ce serait logique, qu’il faudrait ne pas criminaliser à outrance. Quand je dis ne pas criminaliser, c’est un mot que j’adresse aux législateurs qui ont actuellement une fâcheuse tendance à penser le pénal à tout va, et qui ne s’aperçoivent pas qu’il les conduit aussi à vau-l’eau. On prend tous les comportements que l’on peut, et on les criminalise. C’est apparemment ce qui coûte le moins cher puisqu’il s’agit d’un trait de plume, sans se préoccuper des problèmes de prévention qui ne relèvent pas de la politique pénale, de ce que l’on appelait la politique criminelle, mais de la politique sociale. Donc, logiquement, je dis d’abord que le législateur doit se retenir lorsqu’il envisage la criminalisation d’un comportement. On peut penser à de nombreux exemples dans les trente dernières années, en commençant par les stupéfiants bien entendu, en suivant par la discrimination raciale, discrimination que personnellement je ne comprends pas. Non pas que je ne comprenne pas qu’on soit éduqué à ne pas discriminer, mais je ne comprends pas qu’on utilise la politique pénale pour réprimer la discrimination raciale…
Vous pensez que ça ne peut qu’envenimer les choses ?
Absolument, et on a d’ailleurs beaucoup de peine à appliquer cette incrimination. La Suisse l’a introduite sous l’effet de conventions internationales, et je crois qu’en dix ans on a eu deux condamnations très discutables et discutées. Le débat reste largement ouvert sur l’opportunité de criminaliser de tels comportements. La Suisse n’a pas encore décriminalisé complètement l’interruption de grossesse, nous avons donc par rapport à votre pays vingt-cinq ans de retard. Je pense aussi à tous les comportements financiers dont certains ont été criminalisés très à la légère, sans penser que la pratique et l’application de telles normes allaient poser des problèmes éminemment difficiles. Je pense par exemple à l’incrimination des opérations d’initiés, où l’on a énormément de peine à déterminer la volonté d’utiliser les informations confidentielles. Je pense également au blanchiment qui est un problème extrêmement difficile à traiter sur le plan judiciaire. Il semble avoir été facile à traiter d’un point de vue juridique parce que les normes existent, mais de la construction à son application, il y a un abîme qui paraît très difficile à franchir par les autorités judiciaires. A ce propos, je lisais récemment une phrase d’Alain Finkielkraut qui me semble illustrer mon propos: « Rien n’est pire pour la morale et pour le monde que la vision morale du monde. »
De plus en plus souvent, aux Etats-Unis mais aussi dans les pays qui les prennent pour modèles, on se sert de la honte comme châtiment, vieil héritage de la mise au pilori peut-être. Ne pensez-vous pas qu’on parle davantage de la honte comme châtiment depuis quelques années ?
Oui. C’est une question qui me travaille beaucoup, d’autant plus que j’ai pu constater qu’aux Etats-Unis, effectivement, la honte est actuellement utilisée puisqu’on doit afficher le motif de sa condamnation et se promener dans les rues avec des tenues de condamnés. Donc, il y a résurgence d’une utilisation de la honte. Par ailleurs, on a essayé, dans certains cas, en Europe aussi, à informer le public de certaines condamnations, par exemple celles de délinquants sexuels, et du retour des condamnés dans certaines communautés pour faire en sorte que cette communauté exerce d’abord une réaction de rejet, et que le condamné en ait honte. Mais je ne suis pas tout à fait certain qu’actuellement on puisse encore se fier à ce sentiment de honte pour fonder une politique pénale. Je sais que certains sont partisans d’une prévention dite situationnelle, mais on ne peut pas tout prévenir. Nous vivons dans une société à risques, on aura toujours des risques, et je crois que la meilleure éducation ne pourra pas parer à des accidents de ce genre. Je vous rappelle que le crime est normal, comme l’a dit Durkheim, normal d’un point de vue statistique, et l’on ne peut pas imaginer vivre dans une société sans crimes. Quand on parle de solutions autres que la judiciarisation des conflits, on ne s’oriente plus vers une résolution répressive. On se tourne résolument vers des solutions de gestion des conflits, de dédommagement des victimes, ou de dédommagement symbolique d’une communauté lésée par une infraction. Alors l’aspect répressif passe très largement au second plan, au point qu’on pourrait substituer au mot « peine » ou « droit pénal », le terme de « droit sanctionnel » puisque la sanction, c’est la conséquence d’un comportement, conséquence qui peut être négative ou positive, et susceptible de neutraliser, en quelque sorte, l’aspect répressif de l’intervention en proposant des solutions constructives de gestion d’affrontement, de réparation et de conciliation.
Témoignages
Article paru dans le quotidien « LE TEMPS »
portrait jeudi 21 avril 2011
Pierre Pradervand, passeur de dignité
Par Sylvie Arsever
Pierre Pradervand est visiteur de prison, notamment à Champ-Dollon (GE). Il rencontre des détenus isolés pour parler à bâtons rompus
«Il ne sait pas combien de minutes il y a dans une heure, ni ce que sont les USA. Il ne comprend pas les mots pardon, exister, espoir… Mansour m’a touché comme rarement un autre être l’a fait.» C’est avec ces mots que Pierre Pradervand avait demandé à me rencontrer pour me parler de son activité de visiteur de prison.
En arrivant, il a aussitôt sorti quelques notes de sa serviette. A côté de Mansour, il y avait Bernard, Rexhep, Thierry et Kofi * (lire ci-dessous). Cinq rencontres faites derrière les barreaux qu’il voulait partager. Pour montrer à ceux qui divisent le monde en camps opposés qu’il y a de l’humanité partout, même du mauvais côté de la loi. Ou, plus simplement, pour faire ce qu’il fait chaque fois qu’il se rend à la prison de Champ-Dollon, à Genève, rencontrer un détenu qui ne lui est rien: chercher à mettre un peu plus d’échange et de contact dans un monde qui en manque parfois cruellement.
A l’entendre, rien n’est plus simple que cette étrange activité. Lui savait depuis sa première jeunesse qu’il souhaitait, une fois, «faire quelque chose» dans le monde pénitentiaire, une conviction née de la rencontre avec un aumônier de la prison marseillaise des Baumettes. Il a attendu l’approche de la retraite, après une vie largement remplie d’engagement pour les autres et de contact. «Les détenus qui désirent des visites s’inscrivent. Le plus souvent, ce sont des gens qui sont totalement isolés à Genève et que personne ne vient voir. Nous prenons rendez-vous et nous y allons.»
La conversation est, en somme, ce qu’elle serait avec un visiteur ordinaire – on parle de choses et d’autres et souvent de ce qui préoccupe un prisonnier: son parcours, son procès, ses craintes pour l’avenir. Pierre Pradervand parle aussi de sa vie à lui. Sans crainte que la comparaison avec celle d’un homme enfermé pour des années soit trop cruelle? Non: évoquer la vie à l’extérieur, c’est aussi satisfaire un besoin d’évasion. Sans jeu de mots.
Les écueils que j’imagine, assure Pierre Pradervand, sont pratiquement inexistants. Une seule fois dans son expérience de bientôt six ans, un détenu a essayé de le manipuler pour le faire intervenir en sa faveur dans son procès. Et il assure, un peu étonné qu’on pose la question, n’avoir jamais ressenti de méfiance ou d’envie de la part de ses visités.
Des bobards, parfois? «Bonne question. Un détenu m’a soutenu pendant toute notre relation qu’il était innocent des faits dont on l’accusait avant de m’avouer, à la veille de son procès, qu’il les avait commis. Il avait peur de perdre mon estime. A tort, bien sûr. Je ne m’intéresse pas à ce qu’on reproche à un prisonnier. Je présume qu’il est coupable et je passe outre.»
Le plus dur, finalement, ce sont les rencontres où son vis-à-vis se tait. Cela arrive: «Il faut meubler une heure tout seul et ce n’est pas facile.» La responsabilité? Elle n’a rien d’écrasant – elle se limite finalement aux rencontres faites pendant le temps que le détenu visité passe dans la prison préventive de Champ-Dollon – même s’il lui est arrivé d’en suivre certains un peu plus loin, à Bellechasse, voire en liberté. Et cette limitation fait aussi le prix de la visite pour le détenu: «Nous représentons le seul contact avec quelqu’un qui n’a absolument rien à voir avec l’administration. Une relation entièrement gratuite, dans tous les sens du terme.»
Comment quelqu’un qui côtoie de près la souffrance des détenus considère-t-il la prison? Avec réalisme: «Nous n’avons pas encore inventé la société qui pourrait s’en passer. Mais c’est très dur. On est totalement dépendant des autres, sans aucune autonomie – sauf à trouver une forme de liberté en soi, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il y a une grave perte de sens. Et le poids de l’avenir: on sait qu’à la sortie tout sera difficile…»
Une visite bénévole au pénitencier d’Orbe
Source: LE TEMPS 21 avril 2011
Pénitencier d’Orbe
La visite à un détenu est une visite inhabituelle, qui se déroule dans un cadre inhabituel et selon des règles qui ne s’appliquent pas à une visite de malades ou de personnes âgées.
Cela commence avec la tenue. Il est préférable de choisir des vêtements qui ne vont pas faire sonner l’appareil détecteur de métaux. Celui-ci est tellement sensible, qu’il faut systématiquement se déchausser, à moins de porter des sandales de liège.
Puis on quitte le contrôle de sécurité par un sas, on traverse la cour qui mène au bâtiment principal auquel on accède par un autre sas, pour enfin être accueilli par un gardien qui nous introduit dans le parloir des visites. Divisible en trois au moyen de rideaux en bois coulissants, il est bordé d’un côté par des fenêtres qui donnent sur la cour prolongée par le coin promenade et le terrain de football des détenus et, de l’autre côté, par une paroi totalement vitrée et percée de trois portes. Cette salle ressemble à un aquarium, mais permet aux gardiens d’exercer une surveillance discrète sur le déroulement de la visite. Deux distributeurs de boissons et un petit meuble avec quelques jouets d’enfants en complètent son aménagement.
La Charte du visiteur stipule que l’on vient et que l’on repart les mains vides. Il n’a donc pas à se demander s’il fallait apporter des chocolats ou des oranges, mais est néanmoins autorisé à avoir quelques pièces de monnaie (ouvertement déclarées au contrôle de sécurité) pour offrir une boisson au détenu. Dans le cadre de cette visite tellement dépouillée de tout support extérieur, une boisson à 50 centimes prend une importance toute spéciale, au point qu’un détenu tenait même à l’offrir de sa poche une fois sur deux.
Ayant le privilège de pouvoir venir en dehors des heures de visite réservées à la famille et aux amis, le visiteur est souvent seul avec le détenu et la visite se déroule plutôt dans le calme.
Voilà pour le cadre extérieur. Qu’en est-il du contenu ?
La règle précise que c’est au détenu à faire la demande d’une visite bénévole. Les demandes suivent un parcours précis pour aboutir à la Fondation vaudoise de probation où elles sont ensuite distribuées aux visiteurs selon les disponibilités de chacun.
Le visiteur est donc « l’invité ». A ce titre, il ne remplace ni l’avocat, ni l’assistant social, ni sa famille et encore moins un juge qui referait son procès. Il lui apporte simplement « un bol d’air frais » de l’extérieur, une écoute active et un regard sans jugement sur sa situation familiale et carcérale. Il garanti en revanche la confidentialité des propos. Ces règles sont généralement bien acceptées par le détenu.
Suit toute la phase de la découverte de la personnalité : certains détenus parlent avec volubilité et le contact s’installe facilement. D’autres sont plus timides et il faut s’armer de patience, créer la confiance et surtout ne pas avoir peur des silences qui se prolongent … D’autres encore, ne sachant trop ce qu’ils attendaient de la visite, se rendent compte que « seulement » parler ne leur convient pas et souhaitent renoncer assez vite. Le visiteur apprendra alors à ne pas se culpabiliser. Il ne s’agit pas d’un échec, mais du droit qu’a le détenu de faire cesser la visite si elle ne lui convient pas. Droit qui appartient également au visiteur s’il ne se sent pas à l’aise avec le détenu.
A raison d’une visite d’une heure toutes les trois à quatre semaines, les liens se tissent lentement. Se révèlent alors les facettes du caractère, les passions, les rêves, les projets pour « après », tout comme le quotidien de la prison avec ses contraintes, la cohabitation parfois pénible, les nouvelles règles que l’on trouve injustes, mais aussi l’opportunité d’un apprentissage qui peut donner une autre couleur à l’avenir ou la fin de la peine que l’on voit arriver avec soulagement.
La visite devient alors un espace de liberté où le rire résonne parfois, mais qui traduit le besoin de se raccrocher à la normalité dans cette parenthèse de vie où l’on n’a plus de droits.
Lorsqu’il quitte la prison, le visiteur n’a fait qu’offrir une heure de son temps. Cela peut sembler dérisoire et peu profitable. Mais, dans l’absolu, il a rappelé à une personne qu’elle n’était pas oubliée, il est témoin de son existence et cela, au fond, n’a pas de prix …
Visiteur bénévole de prisons : pourquoi ?
Dans une lettre de prisonnier condamné à une lourde peine, nous lisons ceci :
« C’est la mort à petit feu, qui commence par la perte de toutes notions, affectives, familiales, sociales, si on ne parvient pas à entretenir un lien avec l’extérieur. »
Comme visiteur de prison, je viens de l’extérieur. Je n’appartiens ni à l’appareil judiciaire, ni à un établissement d’exécution de peines. Vais-je, par mes visites répétées et régulières, représenter ce lien indispensable avec l’extérieur ? C’est un de mes objectifs. Et j’espère que les relations tissées avec les détenus visités contribueront, modestement, à entretenir et peut-être améliorer leur capacité d’individus à vivre en société.
Récemment, des étudiantes de l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne m’ont posé quelques questions dans le cadre d’une étude sur le bénévolat. Elles avaient choisi de centrer leur réflexion sur le bénévolat des visiteurs de prison :
Q.
Qui visitez-vous actuellement ?
R.
Deux détenus : un citoyen suisse purgeant une peine pour tentative de meurtre avortée et un Sud-Américain condamné pour viol.
Q.
Quel regard portez-vous sur eux ? Lorsque vous les rencontrez, faites-vous abstraction de leur délit ou tenez-vous compte du fait que vous avez devant vous des criminels ?
R.
Votre question est très pertinente. Par respect pour eux et pour moi-même, je me refuse à une approche idéaliste et romantique. C’est parce que ces détenus vivent une situation humaine perturbée que j’ai décidé de les rencontrer. Je sais donc qu’ils ne sont pas des enfants de chœur. Ceci étant, je ne lie par leur identité d’êtres humains à leur seul statut de détenus. Comme tout un chacun, ils ont besoin d’être reconnus pour ce qu’ils sont ou voudraient être dans l’intime de leur personne. Je fais donc le choix délibéré de discerner leur dignité et je souhaite qu’à travers de nos rencontres, ils s’en rendent compte. Ce serait un jalon posé pour leur avenir. J’espère aussi que, petit à petit, ils se mettront à porter un regard lucide sur ce qui les a amenés en prison. A noter que je ne sais de leur passé que ce qu’ils veulent bien me dire. Quant à l’avenir, je constate que le détenu sud-américain que je visite depuis deux ans se met à me parler du sens qu’il voudrait donner à sa vie lorsqu’il sera sorti de prison. Ne serait-ce que pour cela, mes visites me semblent valables.
L’essentiel réside tout entier dans l’écoute : être une oreille attentive. Pour l’aider à tenir le coup, je tiens compte aussi de son appartenance. Son statut de prisonnier, les murs du pénitencier et de sa cellule, la coupure d’avec son univers, en particulier familial, sont autant de facteurs de solitude et de dépersonnalisation. Nous parlons alors souvent de sa famille. Je connais les noms de ses nombreux frères et sœurs. Je lui demande des nouvelles de sa maman diabétique. De son côté, il est fier de me montrer les récépissés des versements qu’il lui fait pour des achats d’insuline. Il est bon qu’il sache que je le vois relié au siens, là-bas.
Comment se préparer à ce type de bénévolat ? Comment entretenir la « flamme » ? Grâce à l’équipe de visiteuses et visiteurs dont la Fondation vaudoise de probation est responsable. Des rencontres régulières permettent une écoute mutuelle sur les engagements de chacun et les problèmes rencontrés. Ce sont en quelque sorte des occasions de formation continue. Au cours des deux dernières années. nous avons eu la possibilité de passer une journée au pénitencier des EPO, puis une autre à la prison de La Tuilière à Lonay. Ce fut très profitable. Nous nous sentons mieux acceptés du personnel de ces établissements et, de notre côté, nous comprenons mieux leur tâche. C’est important pour que nos visites se déroulent dans de bonnes conditions.
Source: Fondation de probation canton de Vaud – http://www.probation-vd.ch/?id=538