L’OTAN, pourquoi ?

a woman riding on the back of a horse on a beach

L’OTAN, pourquoi ?

Publié par Gabriel Galice -11 Juillet 2016

Gabriel Galice*

Le sommet de l’OTAN qui vient de se clore Varsovie nous accabla d’un déluge d’approximations et de contre-vérités. La Russie est pointée comme l’adversaire menaçant. La guerre de l’information bat son plein. Quelques rappels s’imposent.

En mourant, l’ancien Premier ministre français Michel Rocard laisse un testament politique qui, sur ce point, apporte un éclairage utile au débat. « Cela remonte à 1991. Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, annonce au monde qu’il met fin au Pacte de Varsovie. La suppression du Pacte de Varsovie pose la question de l’utilité du Pacte atlantique. Et là, l’Occident commet une erreur tragique. Eltsine ne reçoit aucune réponse. Rien. Silence absolu. Six mois plus tard, le président américain réagit, au nom de l’OTAN, mais sans avoir consulté aucun de ses membres, pour dire en substance aux Russes : « C’est bien d’avoir abandonné le communisme et le Pacte de Varsovie ; mais vous restez Russes et, par conséquent, nous restons méfiants et nous allons donc étendre le Pacte atlantique jusqu’à vos frontières, et même incorporer d’anciennes républiques de l’Union soviétique, les trois pays baltes. » L’insulte. La gifle. La menace. Vladimir Poutine l’a vécu comme une humiliation. »

Bien d’autres témoignages corroborent cette vérité historique, tant malmenée, depuis des décennies, par les « occidentalistes » et autres faucons, persuadés de leur suprématie et de leur bon droit. Ancien Secrétaire général du Quai d’Orsay, l’Ambassadeur de France Francis Gutmann écrit : « Washington, soutenu par les Européens, ne cesse de prendre ou de favoriser des mesures susceptibles d’être interprétées par Moscou comme autant de provocations. Ce sont le soutien à grand bruit et à grands frais de pays de l’ex Union soviétique aux frontières de la Russie, la proposition d’accueillir certains d’entre eux au sein de l’OTAN (mais une OTAN pour quoi faire ?), la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, l’affaire – à ses débuts – du bouclier anti-missiles, etc. Madame Condeleeza Rice était même allée naguère jusqu’à déclarer que les Etats-Unis ne laisseraient pas les Russes faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN. Cette déclaration est assez surprenante car elle revient à dire à un assiégé – ou qui craint de l’être – qu’il ne doit pas s’opposer au renforcement de son siège. (…) L’intérêt de l’Europe est de s’entendre avec la Russie plutôt que de participer à son encerclement. (…) L’Europe a besoin d’une Russie nouvelle forte et stable. » (Livre Changer de politique – Une autre politique étrangère pour un monde différent ? 2011) La Russie est européenne jusqu’à l’Oral, l’Eurasie est notre continent commun.

La Géorgie et l’Ukraine servent de prétextes pour dénoncer la posture « agressive » de la Russie. Or, dans les deux cas, la Russie a répondu à des coups de force, militaire dans le premier cas, économique et politique dans le second.

Peu suspect d’angélisme pacifiste, Henry Kissinger met en garde, depuis plusieurs années, contre la stratégie du chaos chère aux néoconservateurs (certains, en France, en Allemagne et ailleurs, se disant « de gauche ») des deux rives de l’Atlantique. Son entretien avec Der Spiegel, administre une leçon de prudente diplomatie http://www.spiegel.de/international/world/interview-with-henry-kissinger-on-state-of-global-politics-a-1002073.html L’ancien Secrétaire d’Etat déclare notamment : « Europe and America did not understand the impact of these events, starting with the negotiation about Ukraine’s economic relations with the European Union and culminating in the demonstration in Kiev. All these, and their impact, should have been the subject of dialogue with Russia. This does not mean the Russian response was appropriate.” Au chaos, Kissinger préfère le discernement, la perspicacité (Insight). Denrée rare.

Les éclats de voix, les plumes acrimonieuses, précèdent souvent, accompagnent toujours les bruits de bottes. Le récent rapport britannique sur la guerre d’Irak nous instruit http://www.iraqinquiry.org.uk The Guardian considère que les Britanniques n’ont pas tiré les enseignements de l’expédition irakienne  https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/jul/08/chilcot-report-proves-british-love-hindsight-iraq-afghanistan-syria-david-cameron . A quand la prochaine « intervention » ?

Il conviendrait d’ouvrir un débat serein, contradictoire, sur l’OTAN, ses visées, son utilité, ses conséquences, ses alternatives. A l’heure ou Varsovie entonne des accents belliqueux, ne devrait-on pas faire entendre à Genève une tonalité de paix ? Lors de sa conférence des 8 et 9 novembre à Genève, le GIPRI se penchera sur la question : « Quelle paix pour quel ordre du monde ? » Nous en appelons aux chercheuses, aux chercheurs, aux femmes et aux hommes soucieux de pluralisme et de paix.

Son dernier livre est Lettres helvètes 2010-2014.

Pour compléter l’information

Réflexions sur le sommet de Varsovie de l’OTAN par Gabriel Galice


Par DDS, il y a

La résolution de la crise syrienne

Khalid Ibn Al-Walid Mosque

La résolution de la crise syrienne, porte d’entrée d’un monde multipolaire

Publié par Gabriel Galice et Georges Corm – 24 Septembre 2015

La résolution de la crise syrienne, porte d’entrée d’un monde multipolaire

Par Georges Corm et Gabriel Galice*

L’émotion générale soulevée en Europe par la photo d’un enfant syrien noyé n’a malheureusement pas amené à mettre en question le récit stéréotypé sur les causes du drame syrien. Certaines de ces causes sont lointaines, tels les projets étasuniens de remodeler le « Grand Moyen-Orient », sous prétexte d’y étendre la démocratie, en démantelant les Etats « rebelles », indociles aux volontés géopolitiques des Etats-Unis et de leurs alliés.  Les causes immédiates sont la mise en œuvre catastrophique de ce projet en Irak en 2003, puis successivement en Libye et en Syrie en 2011 et aujourd’hui au Yémen par le truchement de résolutions de la moribonde Ligue arabe, entérinées par le Conseil de sécurité. Ces actions ont fait le lit de l’« Etat islamique »

Cette politique marque un recul de plus en plus accusé du respect des principes du droit international, déjà malmené par la politique des « deux poids, deux mesures. ».

Elles s’accompagnent d’une invocation de la morale et de l’éthique dont la mise en application violente a abouti jusqu’ici à la mort de milliers de personnes innocentes et à la quasi destruction de sociétés entières. Toutes les notions de droit international en sont ébranlées.

En fait, après l’implosion de l’URSS et la disparition du Pacte de Varsovie, l’OTAN aurait dû perdre sa raison d’être au profit d’une OSCE réformée, qui inclurait la Russie de façon renforcée, voire la Chine. Ceci ne fut pas fait et le monopole relatif de l’OTAN élargi procura un illusoire sentiment de toute-puissance, y compris par l’usage et l’abus d « smart power » (médias, think tanks, financement d’ONG, opérations spéciales…). Cette toute puissance a été considérablement renforcée au Moyen-Orient par le partenariat avec les très peu démocratiques pétromonarchies de la Péninsule arabique. Dans le cas syrien, ces dernières, de concert avec la Turquie aux aspirations régionales, ont financé et armé cette seconde génération de groupes terroristes issus de la mouvance d’Al Quaëda, notamment le prétendu «Etat islamique » et le front dit « Al Nosra ».

Mais aujourd’hui, pour les Etats-Unis et les Etats européens alliés, deux facteurs compliquent la donne en Syrie. Contrairement à toutes les attentes  des diplomaties occidentales, le régime syrien est toujours en place. Ses adversaires semblent donc devenir moins enclins – du moins publiquement –  à lui préférer l’EI ou le Front Al

Nosra. Le principe de réalité commence-t-il à prendre forme dans les diplomaties occidentales ? Il faut l’espérer, bien qu’il puisse ne s’agir que de grandes manœuvres diplomatiques.

Le second facteur, complémentaire du précédent tient au fait que toute action entraîne des réactions. L’extension de « l’hyperpuissance » américaine se heurte à des résistances de plusieurs types. Les unes d’Etats puissants ayant des intérêts régionaux importants, comme la Chine, la Russie, l’Iran ; les autres de forces modérées au sein même des Etats impériaux, instruites par les échecs ou résultats parfois catastrophiques d’interventions armées. L’administration Obama, le parlement britannique, sont au nombre de ces « chouettes » moins bornées que les « faucons » (parfois européens), pour reprendre la distinction de Benjamin Barber.

Aujourd’hui, la Syrie est le champ d’un affrontement majeur et particulièrement féroce entre les Etats à tendance impériale et les Etats à vocation régionale, les acteurs purement locaux étant facilement instrumentalisés par la vieille technique de la « guerre par procuration ».

L’ « affaire » syrienne et celle de l’Ukraine nous ont remis en pleine atmosphère de Guerre froide. La Russie, qui demeure un grand Etat, a naturellement des intérêts géopolitiques évidents. Le premier est de combattre la contagion terroriste et ses prolongements chez elle, via le Caucase ou la Tchétchénie, le second de maintenir la seule présence militaire qu’elle a en Méditerranée, sur la côte syrienne.

En Syrie, actuellement, la Russie souhaite une réponse militaire conjointe contre l’EI et le début d’une solution diplomatique concertée avec les Etats-Unis. La question est donc de savoir si nous voulons passer d’un monde unipolaire sous domination occidentale à un monde multipolaire faisant sa place à des pays comme la Russie, la Chine ou l’Iran ou si la politique d’imprécations et de diabolisation contre tout dirigeant qui ne se plie pas aux volontés des Etats-Unis et de leurs alliés va continuer.

Négocier une sortie pacifique du terrible conflit syrien peut donc être une voie raisonnable pour que tous les intervenants externes se sortent de ce guêpier sanglant. Ce serait un premier pas vers un monde multipolaire négocié.

*Georges Corm, économiste et historien, a récemment publié  Pensée et politique dans le monde arabe, Gabriel Galice, Président du GIPRI,  Les empires en territoires et réseaux.

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